Interview : les artistes Son Kwangjae et Iain McCaig nous présentent l'insolite Project Windless
Fin mai, Krafton annonçait le développement de l'énigmatique Project Windless, adapté du roman fantastique The Bird That Drinks Tears. Le directeur artistique Son Kwangjae et le concept artist Iain McCaig nous livrent leur vision du projet.
On connait le groupe sud-coréen Krafton pour ses jeux en ligne, à commencer par Tera ou PUBG Battleground. Fin mai 2021, le studio indiquait néanmoins son intention d’étoffer ses activités pour mêler le développement de jeux vidéo à la réalisation de contenus multimédias autour de licences emblématiques. Dans la foulée, Krafton annonçait le premier de ces projets multimédias, le Project Windless, devant adapter le roman fantastique coréen The Bird That Drinks Tears de l’auteur Yeong-do Lee.
Pour mieux cerner le projet et ses ambitions, nous avons pu poser quelques questions à Son KwangJae et Iain McCaig, respectivement directeur artistique et concept artist du Projet Windless. Le premier est un vétéran de l’industrie du MMORPG ayant fait ses armes sur Granado Espada ou Tera ; le second est une figure d’Hollywood qui a contribué à définir l’esthétique de nombreux films (Entretien avec un Vampire, le Dracula de Coppola ou Harry Potter et la Coupe de feu, mais surtout plusieurs de films Star Wars ou les adaptations Marvel sur grand écran). Ensemble, ils imaginent actuellement la « bible visuelle » du futur projet Windless visant à mettre en images son interprétation de la fantasy et du folklore coréens. Ils nous expliquent leur méthode de travail et nous dévoilent plusieurs dessins conceptuels du projet.
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JeuxOnLine : Vous avez fait le choix d’adapter l’univers du roman The Bird That Drinks Tears de Yeong-do Lee. L’œuvre est peu connue en Occident, pouvez-vous nous présenter cet univers en quelques mots et nous expliquer ce qui vous a particulièrement séduit dans cette licence ?
Son Kwangjae : Le plus grand charme de ses œuvres, en particulier The Bird that Drinks Tears/Bloods, est que tout est nouveau. On y trouve des races de poulets ou de serpents anthropomorphes, sans parler des monstres du folklore coréen. Ses histoires introduisent divers éléments inédits et chacun de ces éléments interagit organiquement pour former un monde unique. La beauté de ce monde repose notamment sur le fait qu’il raconte des histoires pleines de contradictions et de paradoxes. Les grands êtres de l’œuvre sont aussi ceux qui laissent les empreintes les plus laides, et ceux que vous avez vraiment aimés sont ceux qui vont vous trahir. Ces exemples extrêmes de l'histoire confrontent les lecteurs à de profondes interrogations. Je pense que le thème est aussi appréhendé différemment selon les valeurs personnelles de chaque lecteur. J'ai beaucoup aimé la façon dont l'histoire est structurée et comment elle se déploie.
C’est sans doute difficile à résumer, mais pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez ? L’univers du roman The Bird That Drinks Tears semble très imaginatif et très particulier (connu notamment pour son approche métaphysique et ses considérations politiques). Selon vous, quelles sont les différentes étapes qui permettent de transformer l’esprit d’une œuvre en une représentation graphique ? Sur quels éléments vous concentrez-vous principalement ?
Iain McCaig : Pour tout projet, mon approche consiste d'abord et avant tout à m’imprégner de l'histoire. Cela demande au moins deux ou trois lectures, ce qui représente un sérieux engagement, au regard des plusieurs milliers de pages de The Bird That Drinks Tears. Pendant ce temps, mon esprit se remplit progressivement d'images, comme si je regardais un film dans ma tête. Au gré de la lecture, j'essaie d'esquisser ces images, mais c'est comme essayer d'attraper des lucioles, d'où la nécessité de répéter les lectures. Je prête une attention toute particulière aux lieux où l'histoire a provoqué en moi de grandes émotions – des larmes, des rires, une excitation à fleur de peau – parce que ce sont les lieux où l'histoire me touche d’un point de vue très personnel. Ce sont ceux que je dessine d'abord, et je les laisse ensuite devenir la ligne directrice de toutes mes autres idées et designs.
Kwangjae a merveilleusement encouragé ce processus, tout en partageant ses propres inspirations et connexions avec l'histoire. Grâce à lui, je crois que nous avons trouvé quelque chose de spécial et d'unique dans nos dessins, quelque chose qui, je l'espère, rendra l'auteur fier et ravira notre public.
Vous avez notamment travaillé sur de très grosses licences occidentales comme Star Wars ou The Avengers. The Bird That Drinks Tears fait écho au folklore coréen, qu’on connait mal en Occident (avec apparemment des héros et des créatures très originales). En tant qu’artiste, comment l’appréhendez-vous : est-ce très différent de représenter un monde de fantasy coréenne inconnu par rapport à de la science-fiction occidentale par exemple avec laquelle nous avons grandi ? Ou est-ce dans tous les cas la représentation graphique de la vision d’un auteur ?
Est-ce plus complexe quand les références culturelles sont moins connues ou peut-être au contraire plus facile car laissant davantage de liberté ou véhiculant moins d’a priori ?
Iain McCaig : L'alliage du folklore coréen, des personnages et des créatures, des traditions et des philosophies locales, sous l’angle unique et dans la voix de l’auteur, qui oscillent entre tendresse et brutalité, entre humour et déchirement en un clin d’œil, sont autant d’éléments qui contribuent à en faire une montagne russe émotionnelle et un défi passionnant pour toutes les sensibilités occidentales.
Mais en tant qu’artiste, le processus est le même : lire, comprendre l’œuvre et servir l’histoire, puis y insuffler un peu de sa propre âme.
Exclusivité. Si plusieurs des images qui illustrent cette interview ont déjà été dévoilées par Krafton, que ce soit lors de l’annonce du projet en mai, puis dans le cadre de l’introduction en bourse du groupe en juillet 2021, les équipes de développement du Projet Windless nous ont confiés deux illustrations exclusives du projet.
La première illustre le Temple de Hainsha et la seconde, un moine de ce même temple (esquissé par Iain McCaig). Dans le roman The Bird That Drinks Tears, le Temple de Hainsha occupe rapidement une place centrale dans l’histoire puisque dès le premier chapitre, ce sont les moines du Temple qui confient au héros et à ses compagnons d’armes (des Tokebis, des créatures fantastiques du folklore coréen) la mission d’escorter une naga jusque dans l’enceinte paisible de Hainsha.
Vous travaillez pour le cinéma, parfois sur l’adaptation de livres pour le grand écran (comme par exemple le Livre de la Jungle). Avec The Bird That Drinks Tears, vous travaillez sur une adaptation de jeu vidéo. Est-ce différent ? Aujourd’hui, il semble qu’il y ait de moins en moins de différence entre les industries du cinéma et du jeu vidéo. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Iain McCaig : Jusqu’à présent, ma collaboration avec Krafton sur ce projet a peu ou prou été identique à mes expériences professionnelles dans le cinéma. Mon directeur artistique, Kwangjae, m’a permis de rester concentré sur les personnages et leur monde, sur l’histoire que nous essayons de raconter, alors que lui et sa talentueuse équipe d’artistes se chargent de la mise en œuvre de ces éléments dans le jeu. Ce que j'ai vu jusqu'à présent est à couper le souffle !
Pouvez-vous nous parler du jeu, le Projet Windless ? Chez Krafton, vous développez principalement des jeux en ligne, est-ce encore le cas ici ? Est-ce plutôt un jeu en ligne, multijoueur, dans un monde ouvert avec de la liberté laissée aux joueurs ou plutôt un jeu solo articulé autour de la trame narrative des romans ? Et sur quelles plateformes envisagez-vous de lancer le jeu (PC, consoles, ou plutôt peut-être des plateformes mobiles) ?
Son Kwangjae : Krafton est une société de développement de jeux vidéo. Récemment, nous avons annoncé notre intention de développer un nouveau secteur d’activités, qui consiste à acquérir des licences et droits de propriété intellectuelle prometteurs pour les développer mondialement, sous d’autres formes de divertissement, notamment des jeux mais pas uniquement. The Bird That Drinks Tears est l’une de ces licences. D’abord, nous réalisons une bible visuelle qui a vocation à devenir la base de tous les contenus médiatiques que nous créerons à l’avenir. Il s’agit principalement d’un travail de base, pour donner vie à l’univers du livre. Une fois qu’il sera terminé, je sais que nous prévoyons d’aller bien au-delà des jeux et de créer du contenu audiovisuel et d’autres contenus médiatiques.
Vous dites que le Projet Windless a vocation à devenir une « licence globale ». Pouvez-vous nous expliquer ce que ça signifie ? Avez-vous l’ambition de faire connaitre la culture coréenne au reste du monde ? Envisagez-vous plutôt d’apporter des modifications à l’œuvre de Lee Yeongdo pour la rendre plus « internationale » ? Est-ce l’une des « missions » de Iain McCaig ?
Son Kwangjae : Nous sommes convaincus que l’histoire a un solide potentiel pour être appréciée par un public mondial. Mon approche préférée consiste à me concentrer uniquement sur l’œuvre elle-même. Les efforts qui viseraient à cibler spécifiquement un marché particulier ou au contraire tous les marchés peut être impeccable, mais si quelque-chose tourne mal, on peut en venir à créer quelque chose qui ne plait à personne. Les éléments traditionnels coréens, comme les Tokebis [les monstres traditionnels du folklore coréen, ndlr] ou le ssireum (la lutte coréenne) apparaissent dans l’œuvre. Pour autant, promouvoir la culture coréenne dans le monde n’est pas notre objectif principal. Ce n’est d’ailleurs pas quelque-chose qui serait aisé à réaliser, même si on essayait. :)
Si la culture coréenne est vraiment magnifique et intéressante, elle se propagera naturellement et se fera connaitre. Les barrières culturelles dans le monde sont relativement faibles.
Iain est aussi concentré sur l’œuvre elle-même, principalement sur l’histoire et il partage les mêmes objectifs que nous. Il a déjà l’expérience de la création et du rayonnement mondial de licences, ce qui est un atout indéniable dans notre projet.
Vous évoquez donc aussi un projet basé sur une « franchise multimédia ». La formule rappelle The Witcher : des romans polonais, qui ont été adaptés par CD Projekt pour en faire des jeux populaires, puis Netflix s’en est emparé pour en faire une série télévisée pour un public encore plus vaste. Envisagez-vous un modèle similaire pour le Projet Windless ? Ou plutôt quelque-chose de similaire à ce que vous faites avec PUBG (plusieurs jeux différents et des courts-métrages sur YouTube) ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l’approche « multimédia » que vous envisagez et sous quelles formes vous pensez adapter l’univers de la saga ?
Son Kwangjae : Nous voudrions présenter cette licence a un public mondial, incluant les joueurs, des téléspectateurs et des spectateurs. Mais on peut néanmoins se heurter à un écueil ici. Si vous vous focalisez uniquement sur le fait d’étoffer la licence, la qualité risque d’en pâtir. Nous sommes très méfiants à ce sujet. Le début du Marvel Universe a reposé sur le succès d'Iron Man. Mais si Iron Man avait été un échec ? Rien que d'y penser, c'est terrifiant.
Nous ne sommes pas encore entrés dans la phase d'adaptation, nous nous concentrons actuellement sur la compréhension et la représentation du roman. Quant à savoir si le jeu sera similaire à PUBG, grâce au jeu, Krafton a acquis de l'expérience et les connaissances de base permettant d’étoffer une propriété intellectuelle (comme nous le faisons avec le PUBG Universe). C'est pourquoi l'entreprise connaît l'importance de poser les bases d’un univers et d’un méta-concept. Mais en outre, contrairement au PUBG Universe, le Project Windless repose sur un roman original qui a déjà un univers très solide et établi. Nous ne pouvons donc pas dire que l’approche est parfaitement identique.
Nous ne pouvons pas encore dévoiler les détails de la plateforme et du média sur lesquels nous allons développer cette propriété intellectuelle, mais une fois que notre bible visuelle sera terminée, je pense que nous pourrons accélérer cet autre pan du travail. Restez donc à l'écoute pour de nouvelles informations.
Lee Yeongdo, l’auteur de The Bird That Drinks Tears, s’est fait connaitre en publiant ses histoires en ligne sur un forum de discussion, à un public de geeks. Est-il aussi activement impliqué dans l’adaptation de son œuvre ou dans le design du jeu vidéo, voire dans la franchise multimédia ?
Son Kwangjae : Autant que possible, Lee Yeong-do essaie de ne pas interférer dans notre travail. Il nous a communiqué son point de vue sur le processus de recherches et développement esthétique et il nous a confié le soin d'apporter la créativité et l'analyse propres à Krafton dans son œuvre. Quant au jeu vidéo, il sera conçu sur la base de notre travail de R&D esthétique et Lee nous a transmis un message de soutien dans lequel il espère que Krafton développera un jeu qui pourra être joué et encore rejoué dans 30 ans.
Concevoir un jeu prend du temps et construire une licence en nécessite encore plus. Quel est votre agenda ? Pouvez-vous nous dire depuis combien de temps le Project Windless est en développement ? Avec combien de développeurs ? Et quand pensez-vous être en mesure de lancer le jeu, puis les versions multimédias ?
Son Kwangjae : Nous avons débuté ce projet au cours de l’automne de l’année dernière. Nous sommes toujours en train de concevoir la bible visuelle et elle est achevée à hauteur de 50% environ, aujourd’hui. Notre équipe en Corée compte actuellement 30 personnes, et nous travaillons essentiellement avec des artistes américains. Nous n’en sommes pas encore au point de communiquer des détails sur la date de sortie du jeu ou de ses déclinaisons. Mais nous recherchons actuellement davantage de talents expérimentés qui ont leur propre univers artistique et références, susceptibles de rejoindre ce projet fascinant. Je suis convaincu que ceux qui participent à des projets qu'ils aiment et apprécient sont enclins à réaliser des chefs-d'œuvre de créativité. Voici un lien pour nos offres d'emploi.
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Plateformes | Windows |
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Genres | Jeu de rôle (RPG), fantasy |
Sortie | Inconnue |
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