La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG #8

:: Possession virtuelle et propriété analogique


Rédigé par Uther, en janvier 2005
mis à jour en décembre 2005

 

Ainsi au-delà de la simple possession reconnue dans le strict cadre d'un univers artificiel persistant (et déjà contestée), la notion de possession virtuelle renvoie à des considérations économiques bien réelles.
Les biens virtuels acquis dans un monde imaginaire se révèlent en effet avoir une valeur analogique, parfois importante. Et un tel constat emporte nombre de nouvelles interrogations juridiques.

 

1-4. Les liens entre possession virtuelle et propriété analogique

On l'a vu, les objets virtuels ont une valeur reconnue par ceux qui les utilisent. Que l'on cherche à l'expliquer par la forme des systèmes économiques des univers artificiels (basé sur la rareté et la création artificielle de besoins) ou par la psychologie des "résidants" de ces mondes imaginaires, cette valeur peut également être transposée dans le "monde réel". Les objets virtuels ont donc une valeur analogique, fixée uniquement par les lois de l'offre et de la demande.

illustrationOn l'a abordé, les sites Internet de ventes aux enchères sont le théâtre de nombreuses négociations et échanges réels portant sur des objets n'existant que dans des mondes numériques. A titre d'illustration, Julian Dibbell cite en exemple[27] la vente d'une vaste forteresse virtuelle du MMORPG Ultima Online pour 2 053$ américains ou encore un manoir que l'on pourra acquérir pour 750$. Tout est imaginaire, sauf le "bâtisseur", personne physique ayant passé du temps à la "construction" virtuelle de l'objet, et la valeur de ce dernier.

Certains sites se sont même spécialisés dans de telles ventes d'objets tout droits venus de mondes artificiels. Ainsi, le site "Internet Gaming Entertainment[28]" s'est fait connaître en organisant la vente d'objets virtuels issus du MMORPG EverQuest.
Classés par catégorie ou par serveur, des dizaines d'objets peuvent être vendus et achetés (le paiement est sécurisé, les cartes bancaires VISA et MasterCard sont acceptées). En quelques minutes de recherche, on trouvera un collier virtuel vendu 710.40$ ou un couple de personnages pour 1 039.20$. Des rumeurs veulent même que des personnages émanant d'EverQuest se soient échangés pour plus de 4 500$ américains.

IGE, la commercialisation d'objets virtuels institutionnalisée
Certaines sociétés (comme IGE) se consacrent exclusivement à la commercialisation d'objets virtuels sur Internet. Des milliers d'objets virtuels (avatars, objets et devises virtuels) sont collectés auprès de "joueurs vendeurs occasionnels" ou de "professionnels" ne fréquentant les mondes virtuels dans le seul but d'en accumuler le contenu à la chaîne et le revendre aux enchères. Ces derniers sont notamment organisés en "farm centers", au Mexique ou en Asie, où une main d'oeuvre bon marché se relaie 24 heures sur 24 dans les principaux mondes virtuels. Basée à Hong Kong, IGE (Internet Gaming Entertainment) fait figure de leader sur ce "marché" évalué à 880 millions de dollars par son président Steve Salyer.
Néanmois, malgré cette industrialisation de la commercialisation d'objets virtuels et même si en pratique, les transactions sont généralement rondement menées, les acquéreurs ne peuvent se prévaloir d'aucune garantie d'aucune sorte auprès du "vendeur professionnel" (ni dans le cadre de la transaction financière, ni dans le cadre de la remise des objets acquis).

De même, la monnaie virtuelle de ces mondes imaginaires s'achète et se vend, déterminant un taux de change fluctuant en permanence (au même titre qu'une monnaie réelle). Le 21 avril 2004, un million de pièces d'or, la monnaie de Britania, l'univers du MMORPG Ultima Online vaut 12,54$[29]. Un million de platinums, monnaie du programme EverQuest s'échange actuellement un peu moins de 15$[30]. Il faudra compter 59.95$[31] américains pour un million de "simoleons", la monnaie en vigueur dans l'univers de The Sims Online.
Ainsi, les échanges monétaires entre Britania (le monde de Ultima Online), Blazing Falls (l'univers de The Sims Online) ou Norrath (l'univers du programme EverQuest) et les comptes en banque réels des Etats-Unis ou de Corée sont aujourd'hui quotidiens. Et la monnaie de ces programmes se révèle avoir une valeur supérieure, par exemple, au Yen japonais.

illustration Dans son essai "On Virtual Economies" (juillet 2002), Edward Castronova[32] s'est employé à étudier l'économie de Norrath, l'univers du programme EverQuest, au regard des normes économiques habituellement réservées aux Etats "réels" et matériels.
On pourra retenir de son étude qu'en 2002, Norrath (bien que n'existant pas matériellement) se définissait comme étant la 77e nation la plus riche, comptait une population d'environ 225 000 "avatars", dont le salaire horaire moyen était de 3,42$ (calculé en fonction de ce que rapporte, en moyenne, le patrimoine d'un avatar de Norrath[33]), soit "significativement plus que le salaire moyen d'un ouvrier Indien ou Chinois"[34]. Compte tenu de ce chiffre et à raison de 80 heures par semaine de présence en ligne dans le monde de Norrath, un utilisateur génère un capital virtuel de 1 094,40$ par mois, soit un revenu annuel moyen de 13 132,80$. A titre de comparaison, le seuil de pauvreté pour une personne seule, aux Etats-Unis était de 8 794$ en 2002[35].

 

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  1. Voir "The Unreal Estate Boom" (le Boom de la Propriété Irréelle). Disponible en ligne, sur Wired.com/ (visité le 16/04/2004).
  2. Internet Gaming Experience : http://www.ige.com/
    On y trouve des centaines d'objets virtuels, mis en vente contre une monnaie réelle (le dollar américain, le plus souvent). La validité de telles ventes est plus que discutable, nous y reviendrons.
  3. Voir le site de Julian Dibbell : www.juliandibbell.com/uomarketwatch/ (visité le 7 mai 2004).
  4. Cours monétaire en vigueur sur le site Internet Gaming Experience (cf. note __).
  5. Vu sur le site d'enchère eBay (le 7 mai 2004).
  6. Edward Castronova est un utilisateur assidu du programme EverQuest, mais aussi directeur de recherche au département d'Economie de Fullerton, Université d'Etat de Californie.
  7. Selon Edward Castronova, un résidant moyen de Norrath génère 319 "platinums" (la monnaie locale) pour chaque heure passée dans l'univers virtuel. Compte tenu du taux de change des "platinuims", le salaire horaire virtuel serait de 3,42$ américains.
  8. Voir On virtual economies.
  9. Virtual World , par Gregory Lastowka et Dan Hunter.