Phénomène d'addiction dans les MMOG et MMORPG

Un profil de joueurs de MMO addict ?

par Aurélien Pfeffer aka Uther (février 2006)

 

Même en intégrant les joueurs dépendants mais non suivis médicalement (par définition impossible à quantifier), malgré leurs contenus manifestement attractifs (et forcément développés pour être attractifs), si les MMORPG étaient intrinsèquement "addictifs", la proportion de joueurs touchés d'addiction et dépendants du jeu en ligne devrait être infiniment plus élevée. Or, même si ce nombre est en augmentation (au même rythme que l'augmentation du nombre global de joueurs), objectivement, l'addiction ne semble frapper qu'une infime minorité des joueurs.
Dès lors que l'addiction aux MMORPG est reconnue comme une réalité que l'on ne peut nier mais que seuls certains joueurs en sont affectés, ce constat impose que l'on s'interroge sur le profil spécifique des joueurs frappés d'addiction.

Mesures de lutte contre l'addiction par les éditeurs
Au-delà du nombre de joueurs frappés d'addiction, les éditeurs de MMORPG se sont saisis du problème contraint ou volontairement afin de proposer des solutions (plus ou moins) efficaces.
A titre d'exemple, le gameplay de World of WarCraft (six millions d'abonnés à travers le monde, début 2006) intègre des mesures incitant les joueurs à limiter la durée de leurs phases de jeu. Un joueur resté déconnecté pendant au moins huit heures consécutives bénéficie ensuite d'un bonus de progression de 200% quand il se reconnecte. Le joueur qui reste connecté de longues périodes ne progresse donc pas plus rapidement que celui jouant avec modération.
Pour aller plus loin, Blizzard (le développeur de World of WarCraft) propose un logiciel de contrôle parental en libre téléchargement permettant de paramétrer les durées de jeu autorisées (le logiciel fixe les heures quotidiennes ou hebdomadaires de jeu). Hors des horaires autorisés, la connexion au serveur est refusée.

Par ailleurs, afin de lutter contre l'addiction des joueurs chinois, le gouvernement de la République Populaire avait envisagé un temps d'imposer des limites de temps de jeu (il aurait été légalement impossible de jouer plus de trois heures consécutives).
Il semblerait que cette mesure n'ait pas été mise en oeuvre suite aux réactions des joueurs (il suffisait d'acquérir plusieurs comptes et les utiliser successivement pour la contourner).

 

3. Un profil de joueurs de MMO "addicts" ?

Nous l'avons vu, d'après les canons de la psychologie, l'addiction est la résultante d'une carence et d'un mal-être réel, comblés par l'objet de l'addiction (plus ou moins efficacement - une "solution" trouvant sa source dans une addiction est forcément illusoire et ne règle en rien le problème réel). Nous avons vu également que par le contenu merveilleux ou onirique, les MMORPG constituent un moyen d'évasion.
Pour certains joueurs, les MMO représentent aussi un moyen d'échapper à la réalité. C'est-à-dire, un espace ludique et de communication (permettant de rester en contact avec une certaine "société" – la pratique des MMORPG peut incontestablement être une activité socialisante), mais parfaitement sécurisé donnant l'illusion d'un total contrôle.

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Par définition (et par nécessités techniques, que l'on s'attache aux jeux vidéo solo ou aux MMOG), les mondes virtuels sont des espaces clos, soumis à des règles prédéfinies et connues par le joueurs (le "gameplay"). Le joueur a l'assurance de n'être confronté qu'à des "surprises" extrêmement balisées, entrant dans un cadre de strict. Nous avons indiqué précédemment que les jeux en ligne offraient un challenge aux joueurs. Force est de constater ici que ces défis restent toujours sous le contrôle du joueur. Avant de se lancer à l'assaut d'un adversaire, il en vérifiera la puissance (précisée très clairement par un code couleur). Dans Dark Age of Camelot, par exemple (mais cette classification est maintenant la norme dans la plupart des MMORPG), un adversaire "orange", "rouge" voire "violet" opposera une certaine résistance, alors que l'issue d'un combat contre un ennemi "gris", "vert" ou "bleu" ne fait presque aucun doute et verra la victoire du joueur. Le "risque" est calculé et sous contrôle.
Il en va de même dans les rapports humains. Les amitiés ou amours réels supposent des efforts, voire une certaine attention. Les jeux en ligne sont tout autant générateurs de rapports humains (les cas de mariages entre joueurs s'étant rencontrés dans un MMORPG sont largement relayés), mais là encore sous contrôle. Pour trouver l'âme soeur dans un monde virtuel, il suffit de cliquer un bouton pour se déclarer aux yeux de tous "à la recherche d'un groupe" (à la recherche de contacts). De même, les "amis" sont tous à disposition du joueur, regroupés dans une liste dédiée, signalés dès qu'ils se connectent, etc.
Pour aller plus loin, la puissance, le prestige d'un "personnage" et la renommée dont il peut jouir sur un serveur sont relativement aisés à obtenir dans un jeu en ligne (généralement fonction du temps que le joueur est prêt à consacrer à sa "vie virtuelle"). Et consciemment ou non, cette reconnaissance de quelques centaines ou milliers de joueurs peut entraîner une satisfaction certaine.

Sans sombrer dans les clichés, une "vie virtuelle" peut offrir l'illusion de certaines facilités au regard du quotidien du réel. Face à certaines angoisses que la réalité peut engendrer sur certains sujets, un monde virtuel peut se révéler parfaitement sécurisant, confortable intellectuellement et prendre la forme d'un "lieu" où se réfugier et se protéger de la réalité. On comprend dès lors que ce déficit de confiance en soi dans la réalité, soit comblé "virtuellement" dans un monde en ligne.
De même, le manque d'excitation face à la routine du réel ou le manque de considération dans la réalité (manque de considération de son employeur, de la part de proches, etc. – ces exemples sont cités régulièrement par les joueurs reconnaissant leur attrait pour les MMORPG notamment dans les études statistiques menées par Nick Yee auprès des joueurs d'EverQuest) peuvent constituer des frustrations et carences qui pourront être comblées en prenant la tête d'une guilde au sein d'un univers virtuel ou en tirant une certaine fierté à devenir le premier artisan légendaire de son serveur ou le vainqueur reconnu du gardien d'un donjon réputé.

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Dans son article "Addiction au virtuel", Michael Stora (psychanalyste et psychologue clinicien pour enfants) fait référence à un adolescent joueur compulsif d'Anarchy Online refusant l'autorité de ses parents (mais qui accepte de se soumettre aux principes hiérarchiques de sa guilde).

Addiction au virtuel, Michael Stora
« En effet, La hiérarchie, propre aux fonctionnements de la guilde, est présente par le sentiment d’obligation et d’allégeance que le joueur se doit d’avoir vis à vis des autres, ses semblables. Thierry refusant d’avoir des obligations vis à vis de ses parents, accepte en revanche d’être présent à 23H30 pour rejoindre sa guilde, car une attaque surprise est prévue. A la différence des exigences de ses parents, qu’il ne considère pas comme devant impérativement être remplies, sa présence est indispensable au près de sa guilde pour mener à bien l’attaque. Ainsi on peut poser l’hypothèse qu’il s’agit là d’enjeux narcissiques phalliques, en lien avec l’idéal du Moi : « ma présence est indispensable pour sauver le monde », et non d’une exigence exogène surmoïque, signe à nouveau de son incomplétude. »

Plus largement, le simple fait de ressentir son utilité au sein d'un groupe, même virtuel, est sans conteste valorisant. On peut dès lors comprendre l'attrait qui existe à jouer une classe de personnage dévolue au soin de ses compagnons d'arme (par principe, un "soigneur" combat mal et se défend peu... mais est indispensable au sein d'un groupe car il soigne et ressuscite ses congénères et est à ce titre protégé, parfois au péril de la vie - virtuelle - des autres joueurs).

 

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article publié le 2 mars 2006
et mis à jour le 27 mars 2006
 
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