| C’est une évidence, l’industrie du MMO a évolué au cours des dernières années. Elle est aujourd’hui dominée par quelques titres historiques qui parviennent à fidéliser leurs joueurs au rythme des déploiements de patchs et mises à jour, pour laisser moins de place aux nouveaux jeux massivement multijoueurs d’envergure. Dans ce contexte et assez logiquement, quand un MMORPG inédit est annoncé, il suscite une certaine attention et les réactions à son actualité sont exacerbées.
C’est à l’évidence le cas de New World, le prochain MMORPG d’Amazon Game Studios, qui suscitait bon nombre de réactions au cours de ce mois de janvier. Bref rappel des faits.
New World a fait l’objet d’un alpha-test entre octobre 2018 et juin 2019, et les tests ne se sont pas révélés aussi concluants qu’espérés par le studio. Plusieurs reproches étaient formulés par les testeurs : un jeu au gameplay un peu trop « ouvert » dans lequel certains joueurs peinaient manifestement à identifier les réels objectifs du jeu (« coloniser l’univers de jeu ») et du fait de ce relatif désoeuvrement, ces joueurs étaient enclins à simplement traquer et éliminer à vue les autres joueurs, générant ainsi un environnement toxique.
En d’autres termes, le jeu proposait un gameplay trop peu lisible pour réellement embarquer les joueurs et donc les fidéliser durablement, en plus d’encourager des comportements répulsifs. Pas de quoi assurer la pérennité d’un MMORPG d’envergure pendant des années.
Logiquement, le développeur mettait un terme à l’alpha le temps de retravailler sa copie. Et on a découvert les grandes lignes de la refonte du jeu voici quelques semaines : un contenu narratif étoffé pour mieux immerger les joueurs, l’ajout d’un contenu PvE de nature à mieux les orienter dans leur découverte du jeu (leur fixant des objectifs plus concrets, plus accessibles et immédiat pour les guider dans leur découverte de l’univers de jeu) et des mécaniques PvP davantage encadrées pour éviter les débordements. Et c’est le drame !
L’annonce du développeur a donné lieu à un déferlement de critiques parfois extrêmement virulentes, conspuant tantôt les joueurs PvE qui auraient phagocyté l’esprit original de New World, tantôt Amazon Game Studios qui se serait renié au nom du grand capital pour contenter une masse infâme de joueurs (PvE) peu exigeante au détriment des vrais et purs joueurs (PvP) de MMORPG.
On passera sur la nature des critiques et l’effet d’emballement propre aux réseaux sociaux : d’abord parce que New World n’a jamais été présenté comme un jeu « hardcore PvP », au point qu’initialement on lui reprochait plutôt une trop grande place laissée à la survie, à l’exploration et à l’artisanat ; ensuite parce que sur le papier, le développeur n’a pas renoncé au PvP qui reste l’un des piliers du gameplay (de la conquête de territoire et des guerres de guildes, mais aussi en monde ouvert pour les joueurs qui activeront le tag « PvP ») ; et enfin et surtout parce que seuls les prochains tests de New World permettront d’évaluer concrètement les places respectives du PvP et du PvE dans le gameplay global du MMORPG.
Les effets de l’annonce sont peut-être plus intéressants à explorer. Car le PvP reste manifestement l’un des marqueurs forts de différenciation des MMORPG. Dès les prémices de la démocratisation du genre, le traitement des affrontements entre joueurs a déterminé les grandes étapes du jeu massivement multijoueur : à très grands traits, Ultima Online a essuyé les plâtres avec ses griefers, EverQuest a tenté d’y échapper avec un gameplay axé sur le PvE, puis Dark Age of Camelot a organisé le PvP avec ses zones frontières (RvR), quand World of Warcraft a imaginé un tag PvP et des champs de batailles.
Et encore aujourd’hui, l’annonce d’Amazon Game Studios a été l’occasion pour nombre d’autres acteurs du secteur de se positionner et de chercher à se démarquer par le PvP : plusieurs développeurs indépendants (signant plutôt des jeux de niche) ont vanté leur attachement à un PvP relativement ouvert (quand bien même dans l’immense majorité des cas, les affrontements entre joueurs sont toujours au moins un peu encadrés et organisés), d’autres ont cru bon de rappeler qu’ils ne dédaignaient pas le PvE.
On comprend surtout qu’aujourd’hui, le PvP est une dimension du gameplay difficile à appréhender pour les game designers : c’est évidemment une mécanique de jeu attractive (dans la mesure où elle s’auto-entretient par l’interaction des joueurs entre eux et qu’il est toujours plus intéressant de se confronter à un autre joueur doté d’un cerveau qu’à un bot animé par une IA plus ou moins évoluée), mais qui ouvre aussi de plus en plus la porte à des risques de débordements et de comportements toxiques.
New World n’y a pas échappé, ses prédécesseurs non plus, mais la problématique se pose peut-être davantage aujourd’hui qu’il y a quelques années. Il y avait certes des griefers dans Ultima Online, mais le phénomène restait suffisamment marginal pour qu’on s’en accommode et que le MMORPG soit exploité des années. Aujourd’hui, le phénomène est tellement généralisé qu’il a suffi de quelques mois d’alpha pour qu’Amazon jette l’éponge. Pourquoi ? Sans doute parce qu’Amazon a des ambitions grand public, peu compatibles avec le gameplay d’un jeu de niche. Peut-être aussi parce que les comportements d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier : les premiers MMORPG étaient des jeux « sociaux », où les joueurs étaient enclins et encourager à interagir. Un joueur pénible était alors sanctionné « socialement », mis au ban d’une communauté et donc mécaniquement privé de l’essence même du jeu massivement multijoueur. Aujourd’hui, on dit parfois que les MMO sont devenus des jeux massivement solo, dans lesquels non seulement on peut progresser seul, mais où même les activités de groupe ne donnent pas forcément lieu à des échanges entre joueurs (quel joueur n’a jamais expérimenté le fait d’utiliser les outils de recherches de groupe pour s’aventurer dans un donjon et l’explorer avec des compagnons d’arme mutiques ?). Dans ce type d’environnements, le PvP prend une tout autre tournure : les autres joueurs ne sont plus vraiment des « individus » mais à peine plus que des bots tout juste un peu plus intelligents que les mobs qu’on estourbit à la chaîne, sans émotion ni considération. On devient griefers sans même plus s’en rendre compte ni en avoir conscience.
Et aujourd’hui, c’est peut-être là le réel enjeu d’avenir du PvP dans les MMORPG : les affrontements entre joueurs n’ont de réel sens (d’impact émotionnel et ludique) que quand ils nous permettent d’affronter d’autres « individus », qu’on considère comme tels. C’est-à-dire dans un environnement où les autres joueurs ont une vraie place à « jouer » comme alliés ou comme adversaires et quand le PvP s’inscrit dans un gameplay plus global qui laisse davantage de place aux interactions sociales.
On découvrira dans les prochaines semaines comment New World entend maintenant articuler ses (nouvelles) mécaniques sociales, PvE et PvP, mais on sait que le MMO entend placer le jeu de groupe au coeur de son gameplay (où l’artisanat et l’exploration doivent occuper une place aussi importante que le combat pour in fine ériger des campements qui deviendront des villes). Peut-être faut-il y voir une base judicieuse pour construire des mécaniques PvP efficaces, même si ces mécaniques sont « organisées et structurées ».
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