| On peut difficilement le contester, Blizzard occupe une place à part dans l’industrie du jeu (en ligne) et apparait presque comme un cas d’école. Car le studio est non seulement un modèle de réussite économique mais aussi un modèle au sens propre, sur un plan ludique : nombre de ses jeux se sont imposés comme des modèles de leur genre respectif et ont été abondamment copiés (mais pas toujours égalés). On pense par exemple aux premiers Warcraft ou Starcraft pour le RTS, à la série des Diablo en matière de hack & slash ou évidemment à World of Warcraft qui pour beaucoup apparait comme un maître-étalon du MMORPG (au moins theme park).
Et Blizzard a aussi longtemps réussi ce tour de force de parvenir à préserver son image, notamment auprès des « gamers » : le studio a toujours assumé de s’adresser au plus grand nombre (l’une des raisons de son succès économique), mais tout en réussissant aussi à contenter les « vrais » joueurs, cette petite minorité très investie et très audible qui adoube ou non un studio. Longtemps, Blizzard a pu compter sur ces « vrais » joueurs pour obtenir cette sorte label « d’intégrité vidéo ludique » quand d’autres concurrents cédaient à certaines facilités.
Et ce n’est pas le fruit du hasard : Blizzard l’a même théorisé avec sa formule « facile à prendre en main, difficile à maîtriser ». Le studio revendique ouvertement d’avoir construit son succès grâce à son intransigeance, n’hésitant pas à saborder les jeux qui n’atteindraient pas ses standards et risqueraient de nuire à cette image soigneusement entretenue. En d’autres termes, le studio accorde une vraie valeur à son image et se donne les moyens (parfois à grand prix) de la préserver.
Mais on arrêtera là le panégyrique, puisque force est de reconnaitre qu’au cours des derniers mois, cette image de Blizzard a morflé. En vrac, les derniers jeux du studio ont écorné cette image, la BlizzCon 2018 a été la démonstration d’une vraie déconnexion entre le développeur et sa base de joueurs historiques (qui attendait Diablo IV sur PC et à qui on a présenté Diablo Immortal sur mobile). Le studio a perdu ses cadres historiques. Quelques semaines plus tard, la maison-mère Activision Blizzard annonçait des résultats record... suivis du licenciement de 800 de ses salariés à travers le monde. Là encore, en termes d’image, « l’entreprise familiale » proche des joueurs cédait la place au groupe international oeuvrant pour ses actionnaires. Et si le lancement réussi de World of Warcraft Classic semblait donner le sentiment d’une page qui se tourne, permettant au studio de renouer avec sa base historique et son image d’antan, les GrandMasters d’Hearthstone ont relancé une nouvelle séquence compliquée (le studio a sanctionné brutalement l’un de ses joueurs, manifestement pour préserver ses intérêts économiques en Chine).
Une succession de déconvenues qui conduit manifestement Blizzard à aborder sa BlizzCon 2019 avec anxiété. La convention communautaire du studio a traditionnellement vocation à permettre un échange entre les joueurs et les équipes de développement. Mais contrairement aux années précédentes, le studio n’organisera pas de jeux de questions / réponses en direct au terme de ses conférences. En lieu et place, les joueurs doivent déposer leurs questions écrites (en ligne ou dans des urnes lors de la convention) : le studio sélectionnera au préalable celles auxquelles il veut bien répondre et on imagine que les questions qui fâchent seront laissées de côté.
Dans ce contexte, un autre studio emblématique s’est fait remarquer au cours de ce mois d’octobre 2019. Riot Games fêtait les dix ans d’exploitation de League of Legends et en a profité pour esquisser quelques-uns de ses projets à venir. Et curieusement, de nombreuses similitudes semblent se dessiner entre le Riot d’aujourd’hui et le Blizzard d’il y a quelques années.
On le sait, depuis longtemps, Riot a été associé exclusivement à League of Legends -- qui serait le jeu en ligne le plus joué au monde et assure une manne substantielle au studio, mais qui ne s’adresse qu’à un unique public (les amateurs de MOBA) et il n’est jamais confortable d’avoir tous ses oeufs dans le même panier. On sait donc de longue date que Riot entend diversifier son catalogue, et les dix ans de la licence ont été l’occasion de dévoiler de nombreux projets -- curieusement (?) positionnés par rapport à ceux de Blizzard.
En plus de nouveaux contenus pour League of Legends, le studio annonçait donc Legends of Runeterra, un jeu en ligne de cartes à collectionner se voulant accessible (comme Hearthstone) mais laissant peu de place à l’aléa (qui fait râler les joueurs d’Hearthstone). Riot annonçait League of Legends: Wild Rift, une version mobile de sa licence phare, et un portage mobile de Teamfight Tactics (mais en prenant soin de les inclure parmi des projets PC), et avec malice, la directrice de produit Jessica Nam présentait ce dernier en demandant aux joueurs « s’ils n’ont pas un smartphone », reprenant ainsi la formule lancée l’année dernière lors de la BlizzCon 2018 (mais alors sur un ton plus exaspéré) par les équipes de Blizzard aux joueurs chafouins lors de la présentation de Diablo Immortal adaptant la licence sur plateformes mobiles. Riot enchainait avec le Project A, un hero shooter rappelant Overwatch, mais en vantant cette fois la fiabilité technique de son infrastructure. Riot poursuivait avec le Project F qui semble prendre des allures de hack and slash en monde ouvert, reposant sur l’univers de League of Legends, alors qu’on murmure que le prochain Diablo pourrait transposer le hack and slash dans un vaste monde ouvert... Blizzard est connu pour accorder un soin tout particulier à la trame de ses univers (toujours très construits et détaillés) et Riot développe l’univers de League of Legends dans une série d’animation (Arcane) mettant en scène les personnages emblématiques de sa licence.
Nombre des annonces de Riot semblent faire écho aux projets de Blizzard, et ce n’est peut-être pas un hasard. Outre le fait que Riot débauche certains des ex-cadres de Blizzard depuis déjà quelques années, les deux studios ciblent évidemment les mêmes joueurs et semblent développer la même stratégie à quelques années d’intervalle (Blizzard a longtemps travaillé sur une unique licence à la fois, avant d’étoffer considérablement sa puissance de développement pour mener plusieurs projets de front, et Riot fait de même aujourd’hui). Riot semble néanmoins intégrer les erreurs de Blizzard, pour ne pas les reproduire, tout en tentant de cultiver la bienveillance de sa base de joueurs (Riot est détenu à 100% par le géant chinois Tencent et les joueurs occidentaux ne semblent pas lui en tenir rigueur ; quand, à l’inverse, les incursions récentes de Blizzard en Asie ne lui sont pas/plus pardonnées, alors même que le studio est très fortement présent en Asie depuis au moins une vingtaine d’années).
Entre la tourmente actuelle de Blizzard et l’offensive de Riot, ce mois d’octobre semble avoir posé les bases d’un certain renouvellement dans le petit monde des studios « gamers » de l’industrie du jeu en ligne. On ignore si cette proximité sera cultivée à l’avenir, tout comme si ce renouvellement doit s’inscrire dans la durée. Mais à court terme, on sera sans doute d’autant plus curieux de découvrir comment Blizzard répondra durant sa BlizzCon 2019 aux annonces de Riot Games durant le Legend10 : le vieux roi qu’on dit indétrônable conservera-t-il sa couronne ou l’élève parviendra-t-il à dépasser le maître ?
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