La Lettre de JeuxOnLine - Décembre 2016

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Que ce soit en Angleterre (un marché particulièrement scruté du fait de sa réactivité) ou aux Etats-Unis (fort de leur poids commercial pour l’industrie du jeu), le marché du jeu vidéo a été secoué, au cours de ce mois de novembre 2016, par un constat : plusieurs blockbusters ont été lancés ces dernières semaines (on mentionne Watch Dogs 2, Titanfall 2, Call of Duty : Infinite Warfare ou encore Dishonored 2, Mafia III et le PlayStation VR avec son catalogue de jeux en réalité virtuelle) et les premières ventes sont jugées décevantes au regard des attentes, tant chez les revendeurs britanniques que dans la chaîne américaine GameStop (qui accuse une baisse de chiffre d’affaires d’environ 10% sur la période).
Ces jeux « AAA », par définition conçus pour performer en termes de ventes) n’atteignent pas leurs objectifs et le petit monde vidéo ludique frémit à l’idée que le temps des blockbusters soit passé. Les joueurs s’en détourneraient (durablement ?) et l’industrie connaitrait donc actuellement un tournant majeur : les blockbusters auraient vocation à laisser la place à d’autres sortes de jeux, qu’ils soient indépendants, distribués en accès anticipé, sur mobiles... entre autres.
Et dès lors, on évoque de nombreux arguments (certains manifestement tout à fait pertinents, d’autres donnant le sentiment qu’il faut se rassurer comme on peut) pour expliquer ces ventes en berne. En vrac, on mentionne la place croissante des ventes en ligne (quand les chiffres en berne s’appuient uniquement sur le décompte des ventes physiques de boîtes de jeu), la non représentativité du marché britannique (on pourra dresser un état des lieux fiable après examen des différents marchés mondiaux), un marché qui se cannibalise lui-même en sortant trop de titres trop similaires sur de trop courtes périodes, ou encore une situation purement conjoncturelle liée aux lancements simultanés de nouvelles plateformes de jeu (la PlayStation Pro, la Xbox One S et le PlayStation VR), comme autant d’appareils couteux grevant le budget des joueurs qui retardent donc simplement leurs achats de jeux -- un retour à la normale dans les semaines et mois à venir serait donc à prévoir, c’est le pari de Peter Moore qui revendique une stratégie de long terme (des joueurs qui achètent de nouvelles consoles, c’est un marché qui s’accroit pour l’avenir). On sera donc vigilant aux tendances à venir.

Mais au-delà du constat et des raisons évoquées (pertinentes ou non), on remarque surtout les inquiétudes et nombreux commentaires que suscitent ces quelques semaines d’errements. Et que le constat s’inscrive dans la durée ou non, on constate néanmoins quelques tendances : bon nombre des jeux concernés sont des suites. Faut-il alors y voir simplement une lassitude à l’égard desdites licences et une quête de renouveau chez les joueurs ? Peut-être, d’autant que certaines nouvelles licences ont su trouver leur public (The Division, par exemple). Mais la question pourrait être plus pertinente en l’appréhendant du point de vue des développeurs.
On connait le processus qui sous-tend le développement de suites : lorsqu’une « formule » fonctionne, elle est reproduite plus ou moins fidèlement d’opus en opus (parfois chaque année, parfois inscrites dans le cadre d’accords prévoyant dès l’origine le développement de plusieurs suites à quelques années d’intervalle), en y intégrant de menues variations. La méthode fonctionne (sinon elle ne se serait pas imposée) et longtemps les joueurs y ont adhérée (et y adhèrent encore pour certaines licences, en matière de jeux de sport par exemple). Et parallèlement, depuis quelques années, on constate aussi l’ajout de plus en plus systématique de composantes onlines et multijoueurs au sein de licence qui s’appuyaient jusqu’alors sur des modes essentiellement solo, le déploiement régulier de mises à jour de contenus ou de fonctionnalités, dans l’optique d’augmenter la durée de vie des jeux. Dans ce contexte, on comprend aisément que les joueurs ne renouvellent pas leur ludothèque aussi fréquemment qu’avant, quand la durée de vie des jeux augmente et que leur contenu s’étoffe, alors même que le temps de jeu et l’intérêt des joueurs ne sont pas extensibles à l’infini.
Avec le développement puis la généralisation du jeu « en ligne », multijoueur ou encore en monde ouvert (moins linéaires et donc plus longs à consommer), le marché global du jeu vidéo affiche de plus en plus de similarités avec celui du MMO, qui encourage la concentration : les jeux les plus actifs fidélisent les joueurs, qui favorisent le développement de contenus venant les enrichir, qui attirent de nouveaux joueurs venant à leur tour alimenter le processus sur un plan économique et ludique. Mais si, dans l’industrie du MMO, ce schéma a encouragé l’émergence de géants écrasant la concurrence (car il est rare qu’un même développeur exploite simultanément plusieurs MMO similaires), dans l’industrie du jeu traditionnel, les géants semblent se cannibaliser entre eux -- les jeux concurrents, mais aussi leurs propres suites.
Et à ce stade, l’exemple des ventes de ce mois de de nombre (qu’il s’agisse d’un phénomène ponctuel ou de l’amorce d’une tendance plus durable en matière de blockbuster), on peut s’étonner que les développeurs n’anticipent pas davantage de tels phénomènes. En d’autres termes, à trop s’appuyer sur des recettes toutes faites, c’est tout un pan de l’industrie qui s’interroge, voire s’inquiète, dès qu’un grain de sable vient en gripper le mécanisme. Dès lors, on sera sans doute curieux d’une part de suivre l’évolution des performances économiques des blockbusters et suites à venir, mais aussi d’autre part d’étudier comment les développeurs entendent s’adapter à ces phénomènes -- que ce soit en renouvelant les plateformes (mobiles, de réalité virtuelle, etc.) ou les jeux eux-mêmes.

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