Rencontre-Débat « MMOG, du virtuel au réel »

Dossier consécutif à la consultation

par le Forum des Droits sur l'Internet (24 juin 2006)

 

2. – Analyse de la dépendance

Thomas Gaon rappelle que la dépendance varie selon trois paramètres qui se combinent : le sujet (le joueur), l’objet (le jeu) et l’environnement. Selon lui, si l’environnement et le sujet n’ont pas de spécificité dans les MMOG, le jeu lui-même présente en revanche un risque accru de dépendance. L’environnement, envisagé de manière large, est d’abord le fruit de la société dans laquelle nous évoluons. Les valeurs qu’elle véhicule peuvent faciliter les comportements de dépendance. Ainsi, es faits divers les plus inquiétants se sont essentiellement produits dans les sociétés valorisant le dépassement de soi et la performance comme la Chine et la Corée. La défaillance ou l’indifférence de l’environnement direct du joueur (son entourage familial, amical, de travail) sont également importantes dans l’apparition de la dépendance.

S’agissant du joueur, existe-t-il un terrain favorable à la dépendance ? Des traits communs se retrouvent chez une majorité de joueurs « accros », comme dans d’autres formes de dépendance ou de compulsion. Selon Thomas Gaon, les joueurs dépendants sont des personnes plus fragiles, ayant des difficultés à se maîtriser et en manque de repères.
Les facteurs de dépendance les plus nombreux émanent du jeu lui-même :

MMOG en images

EverQuest II
 

EverQuest II
  • la durée potentiellement indéfinie du jeu : on peut y jouer et y rejouer. Pour reprendre une formule de Thomas Gaon, « contrairement à la bouteille qui finit par être vide et oblige à s’en procurer une autre, le jeu peut se poursuivre sans fin », d’autant plus que les actions sont répétitives et la progression ardue.
  • le caractère évolutif du jeu, en situation de « développement perpétuel », place le joueur dans une situation d’attente constante.
Selon Blackbird, dans les MMOG, « tout pousse à favoriser la projection des souhaits du joueur dans le futur, futur qui sera quoiqu’il arrive plus satisfaisant que le présent » (Contribution).
  • l’abonnement est aussi un facteur de dépendance.
Comme le relève Ashen-Shugar, « un MMO gratuit rend un peu moins accro qu’un payant », car il n’emporte « aucune nécessité de jouer pour rentabiliser l’abonnement » (Contribution)
  • l’illusion du contact social maintenu : Sylvie Craipeau et Bertrand Seys, psychosociologues au Groupe des écoles de télécommunication, ont relevé le caractère ambivalent des jeux, « qui favorisent dans le même temps la socialisation et la séparation » (Catherine Vincent, « Drogués aux jeux virtuels », Le Monde, 2 mai 2006).
  • la ressemblance entre le monde réel et le monde persistant laisse au joueur le choix entre deux vies, la vie utopique et la vie réelle. Le personnage est doté de facultés légendaires et son rôle dans le jeu est clairement identifié, lui fournissant ainsi des repères et une hiérarchie sociale.
Pour Thorilyn, « la possibilité d'avoir une double vie réellement reconnue par une communauté dont l'individu est certain pour une fois de faire partie […] En pensant intégrer une société, qui n'est en fait qu'une communauté, il n'a plus aucun regret à ignorer la première (la société "réelle"). » (Contribution)
  • les guildes, qui permettent un développement plus rapide, sont susceptibles d’imposer des obligations trop fortes, notamment en termes de présence en ligne.

Un message de jazz2006 reprend les principales causes de dépendance liées aux MMOG.

La spirale de la dépendance peut se résumer ainsi : au départ, le jeu est une activité de loisir. L’implication dans le jeu s’accroît, les dommages collatéraux aussi. Le joueur doit faire des choix qui le conduisent à négliger ses amis, sa famille, son travail. En cas de coup dur, il trouvera un réconfort au sein du jeu et finira par se détacher progressivement de sa vie réelle, moins séduisante. Il devient de plus en plus dur de sortir car au fond, « je ne suis bon que dans le monde virtuel ». Les tentatives de sortie sont des échecs qui entraînent un retour au jeu pour se réconforter, le jeu étant alors progressivement teinté de culpabilité.

 

3. Ampleur du phénomène et point de vue des joueurs

Le phénomène, s’il s’accroît, reste de faible ampleur. Pour la plupart des joueurs, le jeu est avant tout une activité divertissante et plaisante. Le jeu pathologique concernerait 1 à 2 % des joueurs de MMOG.

MMOG en images

Lineage II
 

Huxley
Dienekès, comme d’autres joueurs, est irrité par le « stéréotype qui perdure dans les médias d’un "junkie" accro à un monde virtuel le faisant s’isoler encore plus » (Contribution et sujet de discussion).

Beaucoup de joueurs soulignent que la dépendance n’est pas spécifique aux jeux et que les MMOG ne sont pas différents des autres loisirs, lorsqu’ils sont pratiqués avec excès. Ils rappellent également que d’autres loisirs considérés comme futiles ont été pointés du doigt en leur temps dans des termes extrêmement virulents (télévision, jeux de rôle sur table). Ils insistent sur le fait que le jeu n’est pas la cause de la dépendance mais le reflet d’un mal-être préexistant et d’un manque de communication.

Kem explique que « le jeu de rôle [comme les MMOG], n’est pas une cause de maladie mentale ni de suicide. Par contre, il peut effectivement en être le déclencheur chez des personnes plus faibles à la base. »

D’autres joueurs rappellent enfin les conséquences autrement plus graves d’autres formes de dépendance, comme celles liées aux jeux d’argent, à la drogue, à l’alcool ou au tabac.

Prut résume bien cette idée : « Je préfère 1000 fois passer 5 heures avec des amis à explorer un donjon dans un univers virtuel que passer 5 heures à boire dans un bistro et me tuer en voiture ivre mort. » (Contribution)

 

4. Prévention et remèdes

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à limiter les risques décrits précédemment ou à y remédier. La prévention passe en premier lieu par une information des joueurs et de leur entourage, principalement familial, sur les limites à poser en matière d’usage des jeux, en particulier à l’égard des mineurs. Ce besoin d’information a été souligné lors de la rencontre-débat par Jean-Pierre Quignaux, de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF). Il a également rappelé l’existence d’un fossé générationnel dans l’utilisation des technologies et le constat d’impuissance de parents ne maîtrisant pas l’informatique.

Comme pour tous les loisirs, il est recommandé de veiller à pratiquer le jeu en ligne avec modération. Cette limitation passe en premier lieu par le dialogue et peut, accessoirement, être complétée par des dispositifs techniques. De plus en plus de jeux intègrent désormais des fonctions de « contrôle parental », imposées dans certains pays comme la Chine. World of Warcraft comporte un système qui permet aux parents de définir la durée de connexion et les plages horaires de jeu. Cette solution est partiellement satisfaisante : d’une part, elle exige des parents un minimum de compétences techniques et de connaître l’existence du système de contrôle ; d’autre part, celui-ci ne porte que sur le temps de jeu et pas sur le contenu du jeu ou les propos échangés.

Il convient d’être vigilant aux signes d’alerte : la perte de contact avec l’entourage, la sensation de manque, la difficulté à se déconnecter doivent être prises au sérieux. Il est également déconseillé aux joueurs fragiles de rejoindre des guildes imposant des contraintes inacceptables. De même, il appartient aux joueurs de veiller à protéger leurs partenaires de jeu en ne plaçant pas la barre trop haut.

En cas de signes pathologiques, comme la perte de contact avec la réalité ou la déscolarisation, des services spécialisés dans le traitement de la dépendance sont susceptibles d’apporter leur aide. Plusieurs établissements ont ouvert des services adaptés aux publics dépendants aux jeux (voir par exemple l’ouverture d’un service spécialisé à Amsterdam).

 

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article publié le 24 juin 2006
 
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