Rencontre-Débat « MMOG, du virtuel au réel »
Dossier consécutif à la consultation
Ces pratiques sont la plupart du temps interdites par les éditeurs de MMOG dans le contrat de licence qui les lie aux joueurs. Dailleurs, de nombreuses suppressions de comptes sont intervenues lorsque les faits étaient avérés.
La prohibition et le marché noir sont propices à des escroqueries, que la victime sera généralement bien en peine de contester. Comme pour toute vente ou prestation de services en ligne entre particuliers, il existe des risques de défaut de livraison ou de prestation mal exécutée. Les comptes transférés pourront avoir été usurpés. En outre, le paiement de labonnement par lacquéreur réserve parfois des surprises.
Devant lampleur du phénomène et la lourdeur du processus de gestion des plaintes, certains éditeurs ont choisi dencadrer cette pratique commerciale, au besoin en créant leur propre système de vente. Sony Online Entertainment a développé Station Exchange, un système déchange sécurisé pour les biens virtuels liés à EverQuest II.
Le forum de discussion a largement débattu de ce sujet. Quelques joueurs trouvent normal de pouvoir acquérir des biens virtuels.
Cette conception repose sur lidée quil nest pas forcément intéressant de perdre du temps de manière fastidieuse pour obtenir des objets ou un niveau élevé.
Certains vont même plus loin en considérant que linégalité devant le temps de jeu peut être compensée par largent.
« On na pas plus de droit à pouvoir samuser quand on a du temps que quand on a de largent » (Contribution)
Dautres joueurs sappuient sur un argument réaliste et estiment, sur le modèle dautres activités prohibées, quil est préférable dencadrer le marché plutôt que de laisser se développer un marché parallèle.
La plupart des joueurs rejettent en revanche catégoriquement cette intrusion de largent dans le jeu.
Thufyr affirme : « Largent [ ] mélangé au [jeu], très peu pour moi » (Contribution).
Largument de la compensation du temps par largent est critiqué par de nombreux joueurs, pour qui le parcours initiatique (de plusieurs milliers dheures) est indispensable à léquilibre du jeu (référence).
Juridiquement, la qualification de telles opérations est délicate. Peut-on parler dun contrat de vente sagissant dune épée virtuelle ? Les actions en garantie sont-elles applicables en la matière ?
Le régime fiscal des revenus tirés de la vente dobjets, dargent virtuel ou de comptes est également délicat à déterminer.
Des enjeux de propriété littéraire et artistique apparaissent. Alors que les éditeurs désirent contrôler tout produit dérivé de leur univers, les joueurs estiment avoir un droit de propriété intellectuelle sur leur personnage et sur ses possessions. Un arbitrage entre les intérêts contradictoires en présence sera nécessaire.
Le problème dépasse dailleurs la vente dobjets virtuels et se retrouve, de manière générale, dans lensemble des uvres dérivées des univers persistants, que Frank Beau, chercheur et spécialiste des jeux massivement multi-joueurs de la Fondation pour un Internet Nouvelle Génération (FING), réunit sous le nom de « craftware » (lors de la rencontre sur les jeux massivement multi-joueurs, Frank Beau a développé sa conception novatrice d’un troisième marché. Après le "hardware" et le "software" serait venu le temps du "craftware").
Les sanctions prononcées contre les joueurs par les éditeurs en cas de transfert clandestin nont pour linstant pas été contestées en justice par les joueurs. La question du transfert de propriété devra sapprécier au regard du principe de la libre circulation des biens et des services et du droit de la concurrence.
La reconnaissance dun droit de propriété intellectuelle aux joueurs sur leurs personnages ou possessions impliquerait par extension des interrogations sur la responsabilité de léditeur en cas de perte de données concernant le personnage ou ses possessions, soit par négligence, par le fait dun tiers ou encore en cas de fermeture du serveur.
3. La convertibilité de la monnaie virtuelle en monnaie réelle
La vente dobjets sur des plates-formes déchange introduit largent réel dans le jeu mais ne permet pas une transformation aisée des biens virtuels en biens réels. Des jeux plus originaux reposent en revanche sur lidée dune convertibilité de la monnaie virtuelle en monnaie réelle. Ils reposent sur le modèle RMT (pour « Real Money Transfer ») ou RCE (« Real Cash Economy »).
Ce modèle de jeu a été repris dans Project Entropia, devenu Entropia Universe, sur lequel près de 500 000 comptes ont été ouverts. Dans la présentation du site, les éditeurs définissent le projet comme nétant pas un jeu mais un monde persistant en ligne permettant de se livrer à des activités réelles lucratives.
Le principe dEntropia Universe consiste à permettre daccéder au monde persistant sans achat initial ni abonnement. Pour obtenir de quoi vivre dans cet univers, il convient toutefois dobtenir de la monnaie de lUnivers Entropia, le PED (Project Entropia Dollar), convertible selon un taux de change fixe avec le dollar américain (10 PED = 1 dollar américain). Léditeur prend une commission sur les opérations de change. Il est possible de gagner des PED sans injecter dargent réel mais la progression est alors fastidieuse.
Les créateurs du jeu ont franchi un pas : non seulement largent réel peut être converti en monnaie virtuelle, mais encore lopération inverse est également possible. Les joueurs peuvent « reprendre leurs billes » et même tirer des bénéfices si leur fortune virtuelle sest accrue. MindArk, léditeur suédois du jeu, est même allé jusquà proposer une carte de retrait sappuyant sur la technologie Maestro de Mastercard, lEntropia Universe Cash Card ( ). Avec cette carte, le joueur peut convertir ses PED et retirer des espèces dans les distributeurs automatiques.
De nombreux joueurs expriment leur aversion à légard de ce type de pratique.
La confusion de léconomie réelle avec des biens virtuels, poussée à son paroxysme dans Entropia Universe, pousse à sinterroger sur la notion même de jeu. Il sagit davantage dun jeu dargent, dans lequel la spéculation joue un rôle primordial.