Rencontre-Débat « MMOG, du virtuel au réel »

Dossier consécutif à la consultation

par le Forum des Droits sur l'Internet (24 juin 2006)

 

Ces pratiques sont la plupart du temps interdites par les éditeurs de MMOG dans le contrat de licence qui les lie aux joueurs. D’ailleurs, de nombreuses suppressions de comptes sont intervenues lorsque les faits étaient avérés.
La prohibition et le marché noir sont propices à des escroqueries, que la victime sera généralement bien en peine de contester. Comme pour toute vente ou prestation de services en ligne entre particuliers, il existe des risques de défaut de livraison ou de prestation mal exécutée. Les comptes transférés pourront avoir été usurpés. En outre, le paiement de l’abonnement par l’acquéreur réserve parfois des surprises.

Salopio souligne que « Dans tous les cas, ça reste imprudent et exige une confiance totale entre [les parties] » (Contribution)

Devant l’ampleur du phénomène et la lourdeur du processus de gestion des plaintes, certains éditeurs ont choisi d’encadrer cette pratique commerciale, au besoin en créant leur propre système de vente. Sony Online Entertainment a développé Station Exchange, un système d’échange sécurisé pour les biens virtuels liés à EverQuest II.
Le forum de discussion a largement débattu de ce sujet. Quelques joueurs trouvent normal de pouvoir acquérir des biens virtuels.

Selon Bleubleulohaibleue, « Je préfèrerais débourser des euros pour avoir un item qui me plaît plutôt que de passer des heures à farmer un boss pénible. Si seulement c’était "légal"… » (Contribution)

Cette conception repose sur l’idée qu’il n’est pas forcément intéressant de perdre du temps de manière fastidieuse pour obtenir des objets ou un niveau élevé.

Pour Salopio, « l’argent [réel…] est un moyen de compenser le temps passé dans le jeu »

Certains vont même plus loin en considérant que l’inégalité devant le temps de jeu peut être compensée par l’argent.

Le joueur « n’a pas envie de faire 50 fois un donjon pour avoir la super ceinture de la mort qui tue » d’après Pinpux. « Est-ce une inégalité plus forte de pouvoir se payer des [objets] » lorsqu’on ne dispose pas de temps ? (Contribution)
« On n’a pas plus de droit à pouvoir s’amuser quand on a du temps que quand on a de l’argent » (Contribution)

D’autres joueurs s’appuient sur un argument réaliste et estiment, sur le modèle d’autres activités prohibées, qu’il est préférable d’encadrer le marché plutôt que de laisser se développer un marché parallèle.

D’après Gadom « la vente d’objets […] ne me choque pas […] dans quasiment tous les MMORPG, il y a des farmers, c’est juste offrir une plate-forme légale pour leurs actions. Vu que l’on ne pourra jamais endiguer le flot des ebayers, autant le contrôler un minimum. » (Contribution)

La plupart des joueurs rejettent en revanche catégoriquement cette intrusion de l’argent dans le jeu.

Pour Ashen-Shugar’, « Rien de mieux pour avoir de l’inflation et un déséquilibre dans le jeu. Rien de mieux pour gâcher le plaisir des autres joueurs qui jouent normalement […] Pour moi, les sites comme IGE […] contribuent à pourrir les MMO. J’espère que les développeurs continueront à considérer ce moyen comme illégal. » (Contribution)
Thufyr affirme : « L’argent […] mélangé au [jeu], très peu pour moi » (Contribution).

L’argument de la compensation du temps par l’argent est critiqué par de nombreux joueurs, pour qui le parcours initiatique (de plusieurs milliers d’heures) est indispensable à l’équilibre du jeu (référence).

« L’arrivée massive de l’argent », destinée à rééquilibrer le manque de temps, ne ferait qu’ajouter un déséquilibre supplémentaire au jeu et donc une inégalité supplémentaire » selon Slain (Contribution).

Juridiquement, la qualification de telles opérations est délicate. Peut-on parler d’un contrat de vente s’agissant d’une épée virtuelle ? Les actions en garantie sont-elles applicables en la matière ?
Le régime fiscal des revenus tirés de la vente d’objets, d’argent virtuel ou de comptes est également délicat à déterminer.

Des enjeux de propriété littéraire et artistique apparaissent. Alors que les éditeurs désirent contrôler tout produit dérivé de leur univers, les joueurs estiment avoir un droit de propriété intellectuelle sur leur personnage et sur ses possessions. Un arbitrage entre les intérêts contradictoires en présence sera nécessaire.
Le problème dépasse d’ailleurs la vente d’objets virtuels et se retrouve, de manière générale, dans l’ensemble des œuvres dérivées des univers persistants, que Frank Beau, chercheur et spécialiste des jeux massivement multi-joueurs de la Fondation pour un Internet Nouvelle Génération (FING), réunit sous le nom de « craftware » (lors de la rencontre sur les jeux massivement multi-joueurs, Frank Beau a développé sa conception novatrice d’un troisième marché. Après le "hardware" et le "software" serait venu le temps du "craftware").
Les sanctions prononcées contre les joueurs par les éditeurs en cas de transfert clandestin n’ont pour l’instant pas été contestées en justice par les joueurs. La question du transfert de propriété devra s’apprécier au regard du principe de la libre circulation des biens et des services et du droit de la concurrence.

La reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle aux joueurs sur leurs personnages ou possessions impliquerait par extension des interrogations sur la responsabilité de l’éditeur en cas de perte de données concernant le personnage ou ses possessions, soit par négligence, par le fait d’un tiers ou encore en cas de fermeture du serveur.

3. – La convertibilité de la monnaie virtuelle en monnaie réelle

La vente d’objets sur des plates-formes d’échange introduit l’argent réel dans le jeu mais ne permet pas une transformation aisée des biens virtuels en biens réels. Des jeux plus originaux reposent en revanche sur l’idée d’une convertibilité de la monnaie virtuelle en monnaie réelle. Ils reposent sur le modèle RMT (pour « Real Money Transfer ») ou RCE (« Real Cash Economy »).

Ce modèle de jeu a été repris dans Project Entropia, devenu Entropia Universe, sur lequel près de 500 000 comptes ont été ouverts. Dans la présentation du site, les éditeurs définissent le projet comme n’étant pas un jeu mais un monde persistant en ligne permettant de se livrer à des activités réelles lucratives.
Le principe d’Entropia Universe consiste à permettre d’accéder au monde persistant sans achat initial ni abonnement. Pour obtenir de quoi vivre dans cet univers, il convient toutefois d’obtenir de la monnaie de l’Univers Entropia, le PED (Project Entropia Dollar), convertible selon un taux de change fixe avec le dollar américain (10 PED = 1 dollar américain). L’éditeur prend une commission sur les opérations de change. Il est possible de gagner des PED sans injecter d’argent réel mais la progression est alors fastidieuse.

Les créateurs du jeu ont franchi un pas : non seulement l’argent réel peut être converti en monnaie virtuelle, mais encore l’opération inverse est également possible. Les joueurs peuvent « reprendre leurs billes » et même tirer des bénéfices si leur fortune virtuelle s’est accrue. MindArk, l’éditeur suédois du jeu, est même allé jusqu’à proposer une carte de retrait s’appuyant sur la technologie Maestro de Mastercard, l’Entropia Universe Cash Card ( ). Avec cette carte, le joueur peut convertir ses PED et retirer des espèces dans les distributeurs automatiques.

De nombreux joueurs expriment leur aversion à l’égard de ce type de pratique.

Ashen-Shugar’ affirme : « Je suis contre. Un MMO est un jeu […] je n’aime pas si celui-ci crée un lien avec la vie réelle. Les joueurs deviennent plus avares, ne jouent plus pareil… » (Contribution)

La confusion de l’économie réelle avec des biens virtuels, poussée à son paroxysme dans Entropia Universe, pousse à s’interroger sur la notion même de jeu. Il s’agit davantage d’un jeu d’argent, dans lequel la spéculation joue un rôle primordial.

 

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article publié le 24 juin 2006
 
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