Le secret protégé par la loi, légalité des NDA
A l'exception de quelques cas particuliers auprès de certaines administrations, la France ignore le principe de « droit à l'information ». A l'inverse de certains pays européens, en France, nul ne peut exiger d'une personne qu'elle révèle les informations en sa possession. Au contraire, le droit français protège les secrets à plus d'un titre...
Ainsi, la plupart des dispositions légales sanctionnant le non respect d'une obligation de non divulgation relève du droit du travail. Au-delà du secret professionnel qui n'a pas vocation à s'appliquer ici, le code du travail impose implicitement la discrétion à tout salarié. Mais nous l'avons vu, le bêta-testeur n'est pas salarié... Ce qui n'empêche pas le droit d'emprunter des chemins (jurisprudentiels) détournés pour appréhender et parfois sanctionner aussi la violation de secrets par des tiers (via la concurrence déloyale) et même en l'absence de concurrents (via le parasitisme, désignant des agissements malveillants ayant des conséquences économiques).
Dès lors que la divulgation d'un secret protégé entraîne un préjudice économique réel et quantifiable (en caricaturant un peu), celui qui souffre de la révélation malveillante est en droit de demander la cessation du trouble et la réparation du préjudice (à hauteur de la bagatelle de 12 millions d'euros de dommages et intérêts par exemple, dans une affaire VF Diffusion c/ Chantelle de septembre 2000, pour compenser « la perte de valeur patrimoniale » et la dispersion de secrets d'un fabriquant de lingerie).
Même si l'on peut douter qu'un bêta-testeur trop bavard puisse un jour être condamné à compenser les pertes financières d'un éditeur de MMO suite à une mauvaise presse, l'acharnement malveillant d'un joueur pourrait avoir des conséquences judiciaires. Plus vraisemblablement, à l'heure où le marketing viral et le « buzz » deviennent des outils économiques de première importance en matière de nouvelles technologies, les agissements un peu trop agressifs d'une agence de presse pourraient par exemple être amenés à se conclure devant les tribunaux.
Si le non respect d'un accord de confidentialité peut obliger à réparer civilement un préjudice, il peut tout autant avoir des conséquences pénales. Dans le cas qui nous occupe ici, dévoiler le contenu d'un logiciel avant sa commercialisation pourrait relever du « vol de secrets de fabrique » sanctionné par l'article L.621-1 du Code de propriété intellectuelle, qui renvoie à la violation du secret de fabrique prévue à l'article L.152-7 du Code du travail (sanctionné par deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende).
Et l'actualité récente a montré l'étendue de l'arsenal pénal qui en découle et dont dispose un industriel souhaitant préserver ses secrets. Le magasine Auto Plus a, par exemple, publié en avant-première le dessin d'un prochain véhicule Renault, que le constructeur ne souhaitait pas dévoiler au public. Sous couvert de trouver l'auteur des fuites (un salarié de Renault soumis à une obligation de confidentialité ?), le constructeur a engagé des poursuites pénales contre le journaliste, auteur du « scoop ». Et le juge retient cinq chefs d'inculpation : « recel d'abus de confiance », « contrefaçon par édition ou reproduction d'écrit, de dessin ou toute autre production au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété de son auteur et recel », « contrefaçon par diffusion d'oeuvre de l'esprit au mépris des droits d'auteurs et recel », « acquiescement aux sollicitations de corruption et complicité de ce chef », « révélation du secret de fabrique et recel ». Autant de motifs qui, toutes proportions gardées, pourraient trouver à s'appliquer dans le cadre de la violation d'une clause de confidentialité de MMO. Les enjeux étant infiniment moindres dans l'industrie du MMO (quoique ?), on doute qu'un juge fasse montre d'une telle sévérité avec un bêta-testeur ne respectant pas le NDA de son contrat de bêta. Il n'empêche que cette action pénale vise ici un journaliste indépendamment du salarié ou même d'un tiers détenteur du secret, aux seuls motifs qu'il a contribué à dévoiler un secret au public susceptible d'avoir des conséquences économiques.
Est-ce à dire que les éditeurs de MMO sont tout puissants et qu'ils ont les moyens de museler bêta-testeurs et presse spécialisée quant au contenu de leur jeu en bêta-test ? Juridiquement, sans doute.
Mais dans l'industrie du jeu, les clauses de confidentialité ayant pour principal objectif de préserver l'image d'une société et d'un produit, on doute qu'un éditeur risquerait une action en justice du plus mauvais effet. A moins de vouloir se lancer dans une vendetta ou dans une action pour l'exemple (comme certains éditeurs de MMO ont déjà tenté de le faire, avant de se refaire une virginité en changeant de nom), conduire l'un de ses propres joueurs ou un organe de presse devant les tribunaux aurait certainement des conséquences infiniment plus retentissantes que tous les discours critiques que pourraient tenir les joueurs... Et même si les cas de menaces existent ponctuellement en France comme aux Etats-Unis (et manifestement de plus en plus fréquemment), à notre connaissance et à ce jour, aucun éditeur de MMO n'a encore engagé de poursuites contre un bêta-testeur.
De quoi considérer que la structure éminemment communautaire des MMO condamne les éditeurs à proposer des jeux de qualité, sous peine d'un retour de bâton à la hauteur des (faux) espoirs suscités ?
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