Le statut de bêta-testeur

Peu importes les motivations du maintien d'une clause de confidentialité, quelle est sa valeur juridique et s'impose-t-elle aux joueurs ? Pour répondre, il convient préalablement d'identifier le statut juridique du bêta-testeur. Est-il un joueur de MMO comme un autre ? Travaille-t-il pour l'éditeur durant la phase de bêta-test ?

On peut d'abord se demander si le bêta-testeur est un consommateur comme un autre, qui pourrait bénéficier du régime très protecteur du droit de la consommation. La question se pose notamment car, par définition, le MMO en bêta-test n'est pas encore « mis sur le marché » (il n'est pas encore commercialisé). En l'occurrence, si l'éditeur de MMO est bien un professionnel, agissant dans le cadre de son activité professionnelle (développer un jeu), le bêta-testeur n'apparaît pas comme un « client » à part entière, à qui l'on proposerait un service (lui permettant ici de jouer à un jeu en ligne).
Et même si le joueur exerce une activité pour l'éditeur (tester le jeu, éventuellement reporter des bugs, etc.) qui pourrait ressembler à un travail, le testeur n'est pas non plus un employé. D'autant que les éditeurs prennent généralement le plus grand soin à ce que les bêta-testeurs ne soient pas considérés comme des salariés - très prosaïquement, pour ne pas avoir à les rémunérer. Pour le droit français (au risque d'être réducteur), le salarié est celui soumis à un « lien de subordination » avec son employeur. Les éditeurs évitent donc d'imposer trop de directives aux testeurs (une présence minimum, des activités imposées, etc.). Raison pour laquelle les développeurs de MMO rappellent régulièrement que les bêta-tests visent entre autres à « remercier la fidélité des joueurs » ou leur permettre « d'essayer les jeux en avant-première » (c'est la formule de Blizzard, que l'on sait très prudent juridiquement) en leur octroyant un accès anticipé et gratuit au jeu. Aujourd'hui, un bêta-test apparaît de plus en plus comme une phase (marketing) ne s'inscrivant pas (ou peu) dans le développement du jeu à proprement parler. Nombre de développeurs préfèrent en effet recourir à des testeurs internes, salariés et rémunérés pour leur travail.
On ne doutera évidemment pas de la reconnaissance des éditeurs envers les joueurs, mais la formule a le mérite d'exclure toutes formes d'obligations pour le joueur, excluant ainsi tout risque de requalification de l'activité du bêta-testeur en un salariat.

Le bêta-testeur écope alors d'un statut juridique hybride : il exerce une activité pour l'éditeur (tester le jeu, éventuellement reporter des bugs, etc.) qui pourrait ressembler à un travail mais sans être salarié ; il joue et consomme un produit même non totalement finalisé, mais sans être réellement consommateur (le produit en bêta-test n'est pas commercialisé).

Le contrat de bêta

La relation qui existe entre le bêta-testeur et l'éditeur est formalisée par un « Contrat de bêta », ni contrat de travail, ni contrat pleinement soumis au droit de la consommation. Dans ces conditions, l'éditeur peut-il néanmoins imposer le respect d'une clause de confidentialité (NDA) ?
Tout comme le CLUF, le Contrat de bêta est un contrat « sui generis » qui lie le bêta-testeur à l'éditeur et régule la petite vie juridique du bêta-test. Le contrat suit le droit commun des contrats et s'impose à celui qui en accepte les termes pour accéder au jeu en avant-première. L'acceptation n'est pas soumise à un formalisme très strict : certains se contentent d'un double clic, d'autres exigent une signature manuscrite. Dans un cas comme dans l'autre, la « rencontre des consentements » suffit à donner une force obligatoire au contrat.

Les contractants sont tenus de respecter leurs obligations. Et même si une clause contractuelle « ne doit pas impliquer une interdiction générale et absolue, c'est-à-dire à la fois illimitée [...] quant au temps et quant au lieu » (dixit la chambre civile de la Cour de Cassation depuis un arrêt du 2 juillet 1900), une jurisprudence constante reconnaît qu'une clause de non divulgation a vocation à s'appliquer tant que celui à qui elle est due y a intérêt. Par exemple, quitter un emploi n'exonère pas un ancien salarié de respecter les secrets de son ex-employeur, la Chambre sociale de la Cour de cassation l'a rappelé le 19 mars dernier, considérant un ancien salarié responsable du préjudice qui résulterait du non respect de la clause de confidentialité de son contrat de travail, même en l'absence de faute lourde. La jurisprudence et la doctrine s'accordent sur une thèse similaire dans de nombreux secteurs, de la recherche aux relations commerciales.
Appliqué à un bêta-test de MMO, le « NDA » vaudrait donc pour la durée des tests, mais aussi après la sortie du jeu et tant que l'éditeur n'a pas explicitement levé l'interdiction. Par principe, le fameux NDA s'impose donc.

Mais en cas de non respect ? En violant les obligations contractuelles convenues, les contractants rompent l'économie du contrat qui perd sa force obligatoire. Celui qui ne respecte pas la clause de confidentialité (son obligation contractuelle) s'expose à la clôture de son compte de bêta-testeur (l'obligation réciproque de l'éditeur). Concrètement, ne pas respecter le NDA d'un bêta-test expose le contrevenant à une exclusion des phases de test. Une conséquence somme toute minime.
Mais est-ce le seul risque juridique ? Pas sûr. Car la loi offre un large arsenal civil (dommages et intérêts) et pénal (amendes, peines de prison) permettant de sanctionner le non respect du secret, jusque sur un plan quasi-délictuel parfois mis en oeuvre devant les tribunaux.

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Le secret protégé par la loi, légalité des NDA

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