Près de 500 000 dollars de dommages et intérêts pour avoir harcelé une salariée de Bungie

Les tribunaux de l'Etat de Washington viennent de condamner un joueur de Destiny 2 à près de 500 000 dollars de dommages et intérêts pour avoir harcelé une chargée de communauté. Bungie a fait valoir le préjudice économique. 

Crucible

Le filtre des écrans conduit parfois à oublier que les échanges en ligne impliquent des individus bien réels, pouvant conduire à des cas de harcèlements. On sait aussi que le milieu du jeu vidéo est souvent très « passionné » et il arrive que les salariés de studios de développement deviennent les cibles de harceleurs en ligne. C’est l’expérience vécue par l’une des chargées de communauté de Destiny 2 chez Bungie, ciblée par un joueur mécontent baptisé Jesse James C. : elle a d’abord été traquée en ligne, avant de recevoir des messages menaçants et racistes (notamment des menaces de viol) sur son téléphone personnel, puis une pizza « payable à la livraison » à son domicile, commandée mais non payée par le harceleur « dans l’espoir d’une confrontation physique avec le livreur ».

Des blagues de mauvais goût sans grande conséquence ? Ce n’est manifestement pas le point de vue des tribunaux de l’Etat de Washington aux Etats-Unis, qui ont condamné le harceleur à plus de 405 000 dollars de dommages et intérêts auxquels s’ajoutent plus de 83 000 dollars de frais de justice.

Le dédommagement d’un coût économique

Quid du raisonnement du juge ? On sait qu’aux Etats-Unis, l’économie fait loi et c’est précisément sur la dimension financière que Bungie a basé son argumentaire pour faire condamner le harceleur.

Concrètement, lorsque la chargée de communauté a commencé à se faire harceler, le studio de développement a engagé d’importants moyens d’abord pour assurer sa protection à son domicile, et ensuite pour identifier l’auteur des menaces. Le studio a engagé un enquêteur privé ainsi qu’un conseil spécialisé dans les cybercrimes pour retrouver le harceleur (pour un montant de plus de 380 000 dollars). L’auteur a donc été identifié, et des poursuites ont ensuite été engagées.

Le studio a notamment fait valoir que le harcèlement a eu pour conséquence d’engendrer des coûts directs (la protection et l’enquête) et des coûts indirects pour le studio (une salariée moins efficace dans son travail dans la mesure où le harcèlement a eu des conséquences sur son « confort, son repos, sa santé et sa sécurité »). On se souvient également que ce n’est pas la première fois que les salariés de Bungie font l’objet de menaces en ligne, au point que certains vétérans du studio ont démissionné de leur poste, entrainant là encore une perte pour le studio (d’expérience, de savoir-faire) et donc un coût économique. Le studio a pu faire la démonstration du coût engendré par le harcèlement, en a demandé réparation devant le tribunal de l’Etat de Washington et a donc obtenu satisfaction à hauteur de près de 500 000 dollars – dont le harceleur devra s’acquitter progressivement pendant plusieurs années jusqu’à paiement complet.

Un cas pouvant faire jurisprudence

Et l’affaire pourrait être plus significative qu’il n’y parait de prime abord dans la mesure où la décision du tribunal pose plusieurs principes qui pourraient faire jurisprudence.

D’abord, le tribunal a reconnu une circonstance aggravante du fait que la salariée était effectivement la cible de menace « du fait de ses activités professionnelles » : la cible était bien salariée de Bungie au moment des faits, le harceleur le savait, elle a été ciblée à cause de son emploi et des messages professionnels de Bungie qu’elle relayait – dans le cas présent, la promotion du contenu d’un influenceur afro-américain de Destiny 2.

Ensuite, les employeurs (américains) ont un devoir de protection à l’égard de leurs salariés et le tribunal a acté que cette obligation s’appliquait aussi aux salariés en télétravail. En d’autres termes, la protection s’étend au domicile du salarié qui travaille chez lui – et dans le cas présent, Bungie a pris l’ensemble des mesures nécessaires pour assurer cette protection, à sa charge. Et c’est ce coût a donné lieu à réparation.

Enfin, le tribunal a également reconnu l’application d’un « schéma » de la part du harceleur : selon la décision du tribunal, « le harcèlement en ligne suit un schéma prévisible dans lequel le harceleur intensifie progressivement ses actes depuis le doxing – obtenir des données personnelles sur sa cible afin de les utiliser dans la vraie vie – pour ensuite prendre contact avec sa cible, et enfin jusqu’à passer à l’acte violemment contre sa victime ». Les actions de Jesse James C. ont suivi ce schéma et l’accusé a reconnu sa volonté de « terroriser » la chargée de communauté. Là encore, ce schéma traditionnel est reconnu par le tribunal, donnant lieu à la condamnation civile mais aussi à une injonction, interdisant au condamné de contacter sa victime, ainsi que n’importe lequel des salariés de Bungie (les éventuels échanges devront passer les avocats des partis à l'affaire).

Si le concerné écope d’une condamnation civile (donnant donc lieu à des dommages et intérêts, à défaut d’une condamnation pénale pouvant conduire à des peines de prison), gageons que la sanction sera dissuasive et que les « mauvaises blagues en ligne » seront de plus en plus régulièrement appréhendées pour ce qu’elles sont concrètement – dans le cas présent, du harcèlement.

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