Bilan et perspectives du Brexit pour l'industrie du jeu britannique
Les députés britanniques étudient aujourd'hui les modalités de lancement du « Brexit », la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'industrie locale du jeu en profite pour interpeler le gouvernement sur les effets sociaux, économiques et financiers du brexit sur les développeurs.
En juin de l'année dernière, par voie de référendum, une courte majorité de citoyens britanniques se prononçait en faveur du « Brexit », la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Si le vote populaire est acté, sa mise en oeuvre concrète n'est pas pour autant encore une réalité : les députés britanniques examinent aujourd'hui le projet de loi qui devrait autoriser le gouvernement anglais à activer la sortie du pays de l'Union européenne (par le déclenchement de l'article 50 du Traité de Lisbonne, qui lancera ainsi quelques deux années de négociations entre le Royaume Uni et l'Union sur les termes de cette séparation).
Un départ loin d'être anodin, notamment pour l'industrie du jeu britannique, qui en perçoit déjà les premiers effets et qui entend surtout préparer les changements qu'implique cette sortie du pays de l'Union. Dans cette optique, l'Ukie (pour UK Interactive Entertainment, le syndicat des professionnels de l'industrie du jeu vidéo en Grande-Bretagne) a initié une vaste étude, entre septembre 2016 et février dernier, auprès des développeurs de jeux vidéo britanniques, visant à la fois à dresser un premier bilan du Brexit et surtout à en tirer les conséquences (dont on n'a pas forcément conscience de prime abord), pour enjoindre le gouvernement britannique à prendre les mesures qui permettront une transition sans heurt pour les professionnels du secteur. Et l'Ukie publie les bons mots de son étude, classée par thèmes (sociaux, politiques, économiques ou financiers) par voie de communiqué.
Recrutements de « talents »
C'est une évidence, la capacité d'une société à recruter des « talents qualifiés » est déterminante pour ses activités. Or selon l'Ukie, 61% des développeurs britanniques emploient des « salariés étrangers hautement qualifiés » (35% issus de l'Union européenne, 17% venant du reste du monde) et depuis le Brexit, 40% des entrepreneurs britanniques du secteur constatent un « impact négatif » quant à leur capacité à recruter et retenir les salariés étrangers. Plus concrètement, selon les studios, la Grande Bretagne apparait « moins attractive » depuis le vote en faveur du Brexit.
Pour pallier la défection de ces salariés qualifiés, les développeurs réclament donc des mesures de compensation. En vrac, les membres de l'industrie du jeu réclament par exemple des procédures d'immigration assouplies dans leur secteur et considèrent que les candidats faisant montre de « compétences spécifiques » devraient bénéficier du droit de vivre et travailler en Grande Bretagne. De même, 65% des studios britanniques indiquent recruter à l'étranger faute de trouver les talents qu'ils recherchent localement. Avec la fermeture des frontières, l'Ukie considère donc « qu'il est urgent » de mettre en place des « initiatives locales visant à former les Britanniques aux compétences dont l'industrie a besoin ».
Accès au marché international
À l'heure d'internet et du jeu en ligne, le marché vidéo ludique ne peut être national et un accès aux marchés internationaux est logiquement un impératif pour les studios britanniques.
Là encore, l'Ukie rapporte que la fermeture des frontières britanniques soulève des interrogations chez les développeurs locaux. D'abord sur un plan financier : l'industrie redoute notamment des surtaxes sur l'exportation de ses jeux hors du Royaume-Uni. Mais les professionnels ont aussi et surtout des interrogations d'ordres politiques et culturels : au sein du marché commun, les professionnels du jeu sont soumis à des directives communes, notamment en termes de « restrictions de contenu » ou encore de traitement des données personnelles des joueurs (on le sait, sous l'impulsion de la France, l'Union européenne se montre très protectrice en matière de protection des données personnelles de ses ressortissants). Les développeurs britanniques redoutent manifestement que les frontières entre le Royaume Uni et l'Europe compliquent la gestion des données personnelles des joueurs britannique d'une part et des joueurs européens d'autre part, dans l'accès à leurs serveurs de jeu (pour 59% d'entre eux, traiter les données de joueurs européens est un impératif, mais pour 63% des développeurs, ce distinguo est certes faisable techniquement mais impliquerait un surcoût significatif).
Faute de pouvoir se passer du marché européen, l'Ukie enjoint donc son gouvernement de négocier des conditions de transferts de données transfrontalières entre le Royaume Uni et l'Union européenne permettant aux développeurs locaux de continuer à s'adresser aussi aux joueurs européens.
Problématiques de financements
On le sait, si l'Union européenne est financée par les États européens, la manne européenne permet aussi le financement de projets globaux et de grands travaux que les États seuls ne pourraient pas toujours supporter. Et l'Union européenne finance aussi, directement ou indirectement, l'industrie du jeu vidéo -- notamment via son programme Creative Europe (qui vise toutes les industries culturelles).
Ainsi, selon l'Ukie pour que l'industrie du jeu britannique puisse « développer de façon pérenne son potentiel culturel et commercial », il est « vital que les financements européens actuellement disponibles pour le secteur du jeu [britannique] soient maintenus ou remplacés par des mesures de financements locales équivalentes suite au Brexit ». Le gouvernement britannique a déjà mis en oeuvre de telles mesures, notamment via son programme SEIS qui vise à soutenir financièrement les entreprises innovantes et l'Ukie jugerait pertinent d'étendre la mesure au « soutien à la production de contenus vidéo ludiques, au développement de compétences et de l'activité commerciale » de l'industrie du jeu.
Par ailleurs, l'Ukie rappelle que l'Union européenne a investi « des dizaines de millions d'euros dans le développement d'infrastructures numériques dans les zones urbaines anglaises », notamment la réhabilitation d'anciens quartiers industriels pour en faire des pépinières de start-up, ayant « permis d'attirer, d'installer, voire de créer de nombreux studios de développement sur le territoire britannique ». Selon l'Ukie, « ces financements doivent se poursuivre ».
À l'heure où les négociations avec l'Union européenne vont débuter, l'Ukie entend donc manifestement peser pour défendre les intérêts de l'industrie britannique et le syndicat se dit « impatient de travailler avec le gouvernement pour saisir les opportunités dans les domaines clefs comme le développement de compétences, l'immigration ou le financement public pour créer le futur compétitif au plan mondial du XXIème siècle ». Et de souligner qu'à l'heure de l'intelligence artificielle, la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée, l'innovation technologique est l'une des clefs de l'avenir de l'industrie du jeu et que la Grande Bretagne doit se donner les moyens d'être le foyer « des talents internationaux et des pionniers de l'innovation issus des technologies nouvelles et des industries créatives qui façonneront le monde de demain ». On sera sans doute curieux de découvrir, dans les années à venir, si l'objectif est plus aisé à atteindre dans ou hors de l'UE.
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