Rencontre-Débat « MMOG, du virtuel au réel »
Compte-rendu de la conférence du 10 juin 2006
World of WarCraft (2004)
World of WarCraft (2004)
WOW - Burning Crusade (2006)
Selon Giovanni Brisset, les guildes ont une responsabilité, à la fois à l'égard des joueurs et des éditeurs. C'est-à-dire que les guildes servent de socle à la vie quotidienne des joueurs dans les mondes virtuels, voire même garantissent un soutien auprès de leurs membres en difficulté (pouvant même assurer une forme de support que l'on imagine plus volontiers dévolu à l'éditeur), font vivre leur serveur de jeu au quotidien, mais peuvent aussi agir auprès des autorités compétentes en « reportant les comportements déplacés aux Game Masters et faire la police si nécessaire ».
Les MMOG sont régulés par des CLUF (Contrats de Licence de l'Utilisateur Final) et Conditions d'Utilisation que les éditeurs font respecter, mais ces textes sont complétés par les chartes supplétives des guildes de joueurs qu'ils élaborent et font respecter eux-mêmes au sein de leur communauté. Il apparaît que les "principes de régulation" au sein des univers de MMOG appartiennent autant aux joueurs qu'aux éditeurs.
Vie sociale et sociologie des MMOG
Le rôle des guildes s'étend par ailleurs au-delà des frontières virtuelles du jeu. D'après l'expérience de Giovanni Brisset, même si les membres d'une guilde se rencontrent généralement par l'intermédiaire d'un jeu, ils peuvent se découvrir des centres d'intérêts communs n'ayant plus de liens directs avec le MMOG lui-même et nouer des liens durables. C'est la raison pour laquelle la plupart des guildes dispose de forums de discussions permettant aux joueurs de se côtoyer hors du jeu ou encore d'échanger sur ces mêmes forums, voire "réellement", sur des sujets n'ayant plus le moindre lien direct avec les MMOG (la musique, le cinéma, la politique, etc.). La communauté présente sur JeuxOnLine en est un bon exemple.
Les guildes dont les membres ont réussi à entretenir une forte cohésion se muent rapidement en véritable communauté virtuelle, animée par un intérêt commun, au sein de frontières bien plus large qu'un unique serveur de jeu.
A ce titre, certaines guildes créées pour un MMOG particulier, peuvent migrer intégralement vers d'autres univers virtuels, voire mener de front une présence sur plusieurs serveurs ou jeux en ligne simultanément. Le ciment qui unit les membres d'une guilde n'est plus alors uniquement un jeu, mais une « communauté d'intérêt » ne connaissant pas de frontière formelle. Et les éditeurs de MMORPG semblent l'avoir bien compris puisqu'il est fréquent qu'ils ouvrent volontiers leur bêta-test à des guildes entières dans l'espoir d'attirer d'un coup quelques dizaines, voire centaines de joueurs souvent très actifs.
C'est également l'analyse de Frank Beau, experts des jeux et des nouveaux médias, qui englobe ce phénomène communautaire sous le nom de « Craftware » (qui renvoie littéralement à la notion d'artisanat autour d'un logiciel). Selon Frank Beau, ce néologisme désigne les contributions participatives et l'investissement des joueurs à la vie d'un monde virtuel, dans et hors du jeu. A titre d'exemple, par leur présence et leur activité au quotidien, les guildes créent une plus-value dans le MMOG. Elles font vivre l'univers, organisent des animations, attirent de nouveaux joueurs, etc. De même, hors du jeu, les joueurs sont souvent le premier relais d'un MMOG : ils développent des "sites de fans", alimentent des forums de discussions, réalisent et distribuent des films de leur monde virtuel, etc.
L'ensemble de ces contributions (individuelles et bénévoles, le plus souvent) forment une activité communautaire à forte valeur ajoutée, s'étendant bien au-delà des frontières du jeu.
D'après Jean-Claude Larue, délégué général du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), la place des communautés tend aujourd'hui à révolutionner le monde du jeu vidéo. Les éditeurs ont tendance à soutenir les communautés de joueurs (pour des raisons évidentes de promotions gratuites de leur produit), jusqu'à se faire déborder par les joueurs eux-mêmes...
Economie virtuelle, business réel
La presse s'est largement faite l'écho des phénomènes de commercialisation d'objets virtuels. Les MMORPG reposent sur un processus de progression des personnages extrêmement chronophage et à ce titre, pour profiter pleinement de l'ensemble des facettes du jeu, il peut être tentant de chercher à acheter du contenu (des personnages déjà au niveau maximum, des objets virtuels rares, voire des devises) pour progresser plus vite (voir notamment : la commercialisation d'objets virtuels).
EverQuest II (2004)
Masse d'arme
Certains développeurs de MMORPG se sont montrés particulièrement hostiles à ce pratiques, considérées comme de la triche (c'est le cas notamment de Blizzard, le développeur de World of WarCraft), d'autres s'avèrent plus conciliants faute de pouvoir opposer une résistance efficace au phénomène (comme Sony Online Entertainment, exploitant notamment la série EverQuest). Le premier, Blizzard, forme des équipes de Game Masters spécialement dédiées à la lutte et la traque des joueurs commercialisant le contenu de son MMORPG au sein de ses services. D'après Nicolas Chollet, à ce titre, Blizzard a déjà suspendu plusieurs milliers de comptes de ses joueurs identifiés comme étant des vendeurs d'objets virtuels. Le second, Sony Online Entertainement, a préféré ouvrir son propre système d'enchères d'objets virtuels contre de l'argent réel et connaît un certain succès.
Les modes de financements des MMORPG reposant sur des micro paiements (la version de base d'un jeu est accessible gratuitement, les joueurs les plus acharnés voulant progresser devront acheter "réellement" du contenu octroyant bonus divers et accès à certains niveaux spéciaux) apparaissent dès lors comme un nouveau modèle économique susceptible d'être attractif et novateur (et très en vogue, notamment auprès des joueurs asiatiques).
Cependant, pour Jean-Claude Larue, délégué général du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), le renouveau du jeu vidéo en ligne pourrait passer par l'investissement des communautés de joueurs, susceptible de conduire à certaines mutations (notamment économiques) de l'industrie du jeu vidéo.
D'après Frank Beau, le jeu vidéo (et a fortiori le jeu en ligne) tend à devenir une nouvelle génération de spectacles réalisés par les joueurs eux-mêmes, voire un véritable média à part entière. Et pour Jean-Claude Larue, manifestement inspiré par le modèle coréen, l'avenir du jeu en ligne passe par la convergence des médias de masse traditionnels (notamment la télévision institutionnelle) pour la visibilité et du jeu vidéo comme une nouvelle forme de spectacles. La médiatisation de certains événements (comme la Coupe du Monde du Jeu Vidéo), le développement des communautés autour des MMOG ou encore l'émergence de projets en ligne hybrides (comme TrackMania, cité par Frank Beau comme archétype du « Craftware ») sont autant d'indices de la convergence des médias susceptible de faire évoluer une industrie et les comportements des utilisateurs.
Manifestement, Jean-Claude Larue imagine aisément des retransmissions de compétition de jeux vidéo sur le modèle du "sport électronique" en vogue en Corée, voire même en France, qui accueillera l'Electronic Sports World Cup (ESWC, la Coupe du Monde des Sports Electroniques) à Bercy en juillet prochain. Ces compétitions pourraient être une importante source de valeur de l'industrie du jeu vidéo dans les années à venir...