Editorial : MMORPG et maîtresses virtuelles
Derrière ce titre volontairement ambigu, se cache une interrogation sur les méthodes d'enseignement (voire d'éducation) que l'on voit poindre et se développer en ligne et dans le cadre de certains MMOG/MMORPG. Il est en effet de plus en plus fréquent d'utiliser les mondes virtuels dans un cadre éducatif et que des "étudiants" suivent les cours de "maîtresses" et professeurs virtuels.
L'enseignement en ligne n'est pas une idée neuve, loin de là. Les nouvelles technologies s'avèrent en effet séduisantes pour abolir les distances entre étudiants et professeur, mais aussi pour rendre accessible le savoir et la connaissance au plus grand nombre, sans distinction (ou presque... pour peu que l'on dispose d'un ordinateur et d'une connexion Internet).
L'idée est tellement séduisante que dès le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, l'Union Européenne a fait de "l'enseignement à distance" et de l'usage des nouvelles technologies (regroupés dans la notion d'eLearning), un élément fondamental du plan d'action eEurope, intégré dans les lignes directrices pour l'emploi (l'enseignement, notamment en ligne, apparaît comme un moyen efficace de rester compétent dans sa formation initiale).
Mais outre le lien avec Internet, en quoi les volontés de la Communauté européenne intéressent-elles les MMOG/MMORPG et leurs joueurs ? Le lien devient sans doute plus évident quand on voit les mondes virtuels être utilisés à l'école et les écoles apparaître dans les univers virtuels.
Quand le MMOG se fait enseignant…
Au-delà de la simple interaction avec une machine (plus ou moins) pensante dans le cadre d'un jeu vidéo, le jeu en ligne massivement multi-joueur (MMORPG) repousse les limites de la socialisation par le jeu. Le jeu n'est plus uniquement une expérience ludique, il devient aussi le théâtre d'une interaction (qu'elle soit coopérative ou qu'elle s'organise autour d'une lutte entre les intervenants, par exemple dans le cadre du PvP ou à plus grande échelle en liant coopération et lutte dans le cadre du RvR) avec autrui. Le joueur se projette dans un avatar ayant vocation à interagir avec un environnement mais surtout d'autres avatars. Le "masque" de l'avatar ne fait pas oublier le joueur qui le contrôle. Au même titre que dans n'importe quelle communauté (qu'elle soit réelle ou virtuelle), on ne peut nier l'existence du lien social qui uni les utilisateurs de MMOG.
C'est sans doute la raison pour laquelle, en France, l'Education Nationale en collaboration avec le CNRS, projette aujourd'hui d'utiliser les nouvelles technologies pour permettre au plus jeunes internautes de "se rencontrer" virtuellement, développer leur sociabilité et leur sens civique... dans des mondes artificiels, spécifiquement développés à cet effet.
Pour aller plus loin, le 20 septembre 2004, le studio Linden Lab (à qui l'on doit Second Life, une simulation virtuelle de société contemporaine) annonçait le lancement de Campus: Second Life.
Ce nom de baptême est explicite. Il s'agit de créer une "université" au sein de l'univers virtuel, destinée à accueillir des professeurs prodiguant des cours bien réels à des étudiants tout aussi réels. Le programme regroupe dans l'environnement réaliste de Second Life, une suite logicielle dédiée à l'enseignement, dotée d'éditeurs de scripts, de moteurs 3D, et autres systèmes de représentations économiques et sociales. Linden Lab a en outre mis à la disposition de ces étudiants et enseignants, des espaces virtuels privés dans lesquels les cours peuvent être prodigués sans risque de distractions extérieures.
Et cette offre semble séduire puisque selon l'éditeur californien, plusieurs universités l'ont adoptée, comme notamment le Département d'Etudes des Médias de Vassar College, le Département de Design et d'Industrie de l'Université d'Etat de San Fransisco ou l'Ecole d'Architecture de l'Université du Texas à Austin. Dans le monde de Second Life, on enseigne par exemple, "l'architecture, la conception de jeux, la sociologie ou les médias".
Même si cette initiative n'est évidemment pas totalement désintéressée (les "étudiants" de Campus: Second Life ont la possibilité de conserver leurs avatars, "en dehors des heures de cours" à tarif préférentiel), sans doute peut-on louer cette initiative, censée aider la diffusion du savoir et de la connaissance.
Avant de s'ériger en "éducateur"...
On peut certainement se poser plus de questions quand les MMOG/MMORPG se font "éducateurs" (du verbe "éduquer", c'est-à-dire inculquer des principes et des valeurs et non plus seulement des connaissances).
Dans l'un des nombreux "tours de table" organisés par le réseau IGN (une série de questions identiques est soumise à plusieurs éditeurs de MMOG, afin de confronter leurs réponses), il avait été demandé qu'elles étaient les plus grandes difficultés rencontrées par chacun d'eux dans le développement de leur programme.
Les studios Disney, qui travaillent notamment sur ToonTown Online (monde virtuel destiné aux joueurs les plus jeunes, mettant en scène les personnages célèbres de Disney) avaient répondu que leur principal obstacle avait été "l'éducation des parents afin qu'ils laissent jouer leurs enfants en ligne". Même si cette affirmation est sans doute légitime et louable, elle suppose cependant la conception de stratégies marketing destinées à modifier les comportements d'individus (ici pour faire tomber les défenses). Et Disney n'a pas le monopole de ces pratiques puisque 1010Game fait de même dès la page d'accueil du site dédié à Mystic Journey: Fairyland. Des "témoignages" de parents expliquent toute la confiance qu'il porte à l'éditeur et la sérénité avec laquelle ils lui confient leurs enfants.
On s'interrogera sans doute un peu plus après les déclarations de Jay Rasulo (président du parc "Walt Disney"), lors de la conférence de presse présentant le plan marketing du groupe et lancement de Virtual Magic Kingdom. Ce MMOG est présenté comme une réplique exacte des parcs Disney et leurs attractions, dont l'accès est gratuit et l'objectif avoué est "d'éduquer le jeune public au tourisme virtuel" (chacun y comprendra ce qu'il souhaite).
Sans doute est-il inutile de s'effaroucher à la vue de telles pratiques. Le développement d'un monde virtuel a un coût réel que les éditeurs devront financer d'une manière ou d'une autre... même en "éduquant" le jeune public à consommer ses produits.
Mais on ne pourra s'empêcher de douter de l'altruisme de l'éditeur coréen gameNgame, qui propose aux internautes une plateforme de jeux en ligne massivement multi-joueurs totalement gratuits, à grand renfort de communication... notamment après avoir noté que gameNgame "est un service gratuit proposé by KIPA (Korea IT Industry Promotion Agency), pour promouvoir la grande qualité des jeux en ligne coréens auprès de tous les utilisateurs", sachant que KIPA est une "organisation à but non lucratif fondée en 1998 par le ministère de l'Information et de la Communication de la République de Corée".
Bien loin du secteur de niche de leur début, les MMOG sont aujourd'hui un média de masse ayant l'intérêt de s'adresser à un public clairement identifié et invité à être actif (à prendre part et adhérer aux "activités virtuelles" qui leur sont proposés). Sans paranoïa outrancière, les MMOG peuvent aujourd'hui apparaître comme un outil marketing (voire de propagande ?) parfaitement efficace.
Il conviendra sans doute de rester vigilant et ne pas considérer que tout le contenu de ces "simples jeux" est toujours parfaitement anodin.