Les MMORPG comme média militant
Rapidement et largement diffusée parmi les joueurs de World of Warcraft et au-delà (le Washington Post consacrera un article à l'événement), nombreux sont ceux à ne pas avoir compris qu'on puisse sanctionner un utilisateur préventivement en vue d'éventuelles réactions homophobes d'autres joueurs. Plusieurs guildes « GLBT friendly » réunissant parfois plusieurs centaines de joueurs de WoW se sont mobilisées pour contester cette sanction aux côtés de l'association américaine « Lambda Legal » (revendiquant le statut de plus ancienne association américaine de défense des droits civils des homosexuels).
Dans un courrier du 6 février 2006 adressé à Blizzard, Lambda Legal salue la volonté de Blizzard de lutter contre le harcèlement et l'homophobie dans son jeu, mais conteste les méthodes employées, jurisprudences à l'appuie. Les juridictions californiennes ont en effet estimé dans une décision « Butler v. Adoption Media » que les mondes virtuels étaient des espaces publics. Or Lambda Legal rappelle que les discriminations à l'encontre des homosexuels sont prohibées dans les lieux publics depuis 1951. De même, interdire aux homosexuels de discuter de leur orientation ou identité sexuelle peut constituer une discrimination depuis 2001 (depuis une décision « Erdmann v. Tranquility Inc. » dans lequel un employeur avait été condamné pour avoir exigé de ses salariés qu'ils cachent leur homosexualité sur leur lieu de travail) et Lambda Legal ne manque pas de le rappeler dans un véritable ultimatum :
Par un fax daté du 8 mars 2006, Paul W. Sams (responsable des opérations chez Blizzard) faisait amende honorable. Non seulement il affirme que l'action du game master était une « erreur regrettable », mais sans grande surprise, il rappelle que tous les joueurs sont les bienvenus dans son jeu, tout comme leurs discussions, qu'elles portent « sur le monde du jeu ou le monde réel, incluant des caractéristiques personnelles comme leurs orientations et identités sexuelles s'ils le souhaitent ». Et pour aller plus loin, Paul W. Sams précise que Blizzard entend mettre en place « une nouvelle formation pour ses game masters, afin de les aider à mieux réagir s'ils sont à nouveau confrontés à ce type de situations ».
Au-delà du cas particulier de Sara Andrews, l'exemple est significatif. Non seulement la mobilisation des joueurs pour une « juste cause » (lutte contre l'arbitraire, égalité de tous devant l'autorité - devant la "loi" du jeu ?) a fait plier l'éditeur malgré la toute puissance dont il dispose sur le code informatique de son programme, mais en plus de se poser en contre-pouvoir, les joueurs ont entrepris de faire évoluer les Contrats de Licence d'Utilisateur Final (CLUF) et conditions d'utilisation du MMORPG de Blizzard. Avec un soupçon de malice, on ne peut dès lors s'empêcher de s'interroger sur l'analogie entre ce contrat de licence du jeu et une éventuelle Constitution régissant l'univers.
Historiquement, le constitutionnalisme né au siècle des Lumières visait précisément à réunir les grands principes gouvernant un peuple dans une constitution écrite afin de limiter les risques d'absolutisme et d'arbitraire des pouvoirs monarchiques. Sans perdre de vue que le CLUF n'est qu'un contrat dont la portée se limite aux relations unissant un joueur à un éditeur, à l'échelle du monde virtuel, on pourrait aisément voir une certaine similitude entre les conditions d'utilisation d'un MMORPG et une « charte fondamentale » fixant les « règles du jeu » d'une nation. Elle pose les bases d'un Etat de droit dont, toutes proportions gardées, les principes s'imposent à tous : à la population de l'Etat, mais aussi aux tenants du pouvoir politique de ce même Etat et pareillement à des joueurs mais aussi aux game masters commettant une « erreur regrettable » en interprétant mal les textes fondamentaux. Et respectant les critères juridiques formels d'une Constitution, ses modifications sont toujours la prérogative du gouvernant, mais avec l'accord ou sous l'impulsion du peuple...
On le voit, les joueurs de MMOG peuvent sans doute être aisément assimilés à des citoyens d'un petit univers, même virtuel. Il s'avère que la condition de joueur peut aussi parfois s'accommoder de celle de citoyen, dans la réalité.
Depuis quelques années (en France, notamment depuis la campagne électorale pour les présidentielles de 2002), on a pu évaluer la capacité de mobilisation politique et citoyenne des militants sur Internet. Le média Internet offre une tribune libre, ouverte à tous ou presque, où exprimer une opinion, militer et mobiliser l'opinion sur un plan national, voire international. L'exemple le plus significatif est sans doute celui de la campagne présidentielle aux Etats-Unis de 2004, où les « blogs ont réellement fait entrer Internet en politique ». A titre d'illustration, dans une campagne dominée par les grands médias traditionnels et des soutiens financiers colossaux, Howard Dean par exemple, a bénéficié lors des primaires du parti démocrate, d'une collecte de 15 millions de dollars pour financer sa campagne, dont les deux tiers directement issus d'Internet et de blogs de soutien sous forme de micro transactions réalisées en ligne.
A une tout autre échelle, mais surtout bien loin des partis politiques, syndicats ou groupes de presse institutionnels, certaines organisations utilisent Internet comme un « catalyseur susceptible de donner corps à l'opinion publique et d'entreprendre des actions de contestation ou de soutiens ». Aux Etats-Unis, l'association MoveOn que l'on connaît principalement pour ses positions contre la politique du gouvernement Bush, représente le fer de lance de cette « société civile » qui s'approprie les nouvelles technologies à des fins militantes et citoyennes. Dans ce contexte, ne comptant que sept permanents, MoveOn revendique aujourd'hui 3,3 millions d'adhérents (à titre de comparaison, en France, le Parti Socialiste compte 200 000 adhérents, dont environ la moitié a été recrutée en ligne) et se fixe comme objectif de faire remonter les « préoccupations de bon sens des citoyens ordinaires, hors de toute affiliation politique traditionnelle, grâce à ses ressources technologiques et humaines ». Pour Elie Pariser (l'un des architectes de MoveOn), « le pouvoir, c'est le peuple. Si les jeunes voient qu'ils peuvent directement peser sur les choses politiques avec les leaders de leur choix, ils se mobiliseront. Avec Internet, qui parle leur langue, le miracle est possible ».
Si Internet peut être considéré comme un média propice au militantisme (et à l'activisme), les jeux vidéo et notamment les MMORPG ne sont manifestement pas en reste. C'est en tout cas l'approche retenue par le Video Game Voters Network (VGVN) créé sous l'impulsion de l'Entertainment Software Association qui réunie les producteurs de logiciels de loisir aux Etats-Unis. Censé représenter le lobby des joueurs de jeux vidéo américains, le VGVN rappelle que « depuis plus de 30 ans, des millions d'américains jouent et que ce passe-temps fait aujourd'hui partie intégrante de la culture occidentale ». Et les jeux devenant aujourd'hui une « cible privilégiée des critiques politiques », ils nécessitent d'être défendus sur un terrain tout aussi politique. Les joueurs de jeux vidéo forment donc aujourd'hui un lobby structuré aux Etats-Unis.
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