Politique et MMORPG
On peut néanmoins se demander à qui appartient légitimement ce pouvoir politique de régulation au coeur des mondes virtuels : aux joueurs eux-mêmes, acteurs et « citoyens » des mondes virtuels ou aux développeurs, créateurs tout puissants des univers ? Et dans le même temps, il conviendra de constater que les MMORPG s'arrogent aujourd'hui le statut de médias, pour devenir lourd d'enjeux militants et idéologiques ne laissant pas toujours les « gouvernements de la réalité » indifférents (jusqu'à devenir, parfois, vecteur de propagande)...
Les 29 et 30 avril 2005, dans le cadre d'un colloque consacré à « l'Emergence de la gouvernance dans le cyberespace » (The Emergence of Governance in Global Cyberspace) organisé par l'université du Wisconsin à Milwaukee aux Etats-Unis, James Grimmelmann (professeur de l'Ecole de Droit de Yale) affirmait en introduction de son intervention sur les mondes virtuels que :
« Chaque décision prise par les concepteurs d'un monde virtuel est une décision politique. Chaque débat portant sur les règles de jeu [gameplay] et chaque modification du logiciel est politique. Quand les joueurs parlent de ces règles, ils traitent de politique. »
(Virtual Power Politics", par James Grimmelmann en avril 2005)
Conforté par les autres intervenants de la manifestation (parmi lesquels Richard Bartle, Edward Castronova, ou encore Greg Lastowka, connus pour être des observateurs de longue date de l'évolution des univers virtuels), l'affirmation prend un sens certain dès lors que l'on comprend le terme « politique » (du latin politicus et du grec politikos, de polis, ville) comme les Grecs de l'Antiquité dans son acception première de « gestion publique de la Cité » et que l'on considère les univers virtuels comme des « sociétés organisées » sur le modèle de ces mêmes Cités antiques. Si les mondes virtuels sont des espaces sociaux fréquentés par des centaines, voire des milliers d'individus interagissant ensemble, leurs comportements ont en effet vocation à être régulés par des systèmes de normes et de valeurs ayant une dimension politique.
Mais au-delà de l'affirmation, si la politique implique une notion de « gestion publique » (renvoyant aux questions de « gouvernance » de l'espace public), il convient nécessairement de s'interroger sur l'exercice du pouvoir politique afin de déterminer à qui il incombe. Dans le cadre d'un MMOG, on peut se demander si la gestion du monde est de la responsabilité des créateurs d'univers (des développeurs à l'origine du code informatique qui engendre l'univers) ou au contraire, s'il revient aux utilisateurs érigés au rang de citoyens virtuels, faisant vivre la Cité numérique.
Et dans un second temps, cette problématique prend une dimension nouvelle quand on l'extrait de son contexte exclusivement « virtuel » et qu'on la confronte à la réalité. La politique des univers virtuels véhicule un système de valeur, voire idéologique d'auprès d'une population de plus en plus vaste, potentiellement mondiale et particulièrement réceptive à ce type de médias. A l'heure où les mondes virtuels s'arrogent en effet une dimension de médias (de masse ? à titre de comparaison, World of Warcraft compte plus de joueurs - 6,5 millions - qu'il n'y a d'habitants au Danemark ou en Finlande comptant respectivement 5,2 et 5,1 millions d'habitants), on comprend aisément l'enjeu ouvertement politique et idéologique qu'ils peuvent représenter, poussant parfois des gouvernements à subventionner certains types d'univers ou à encourager le développement d'un type de gameplay donné afin d'en faire des outils militants, voire propagandistes.
Communautés virtuelles et organisation politique
Selon James Grimmelmann, toutes formes de gestion d'un univers virtuel est politique.
Depuis le Léviathan de Thomas Hobbes, puis le Contrat social de Jean-JacquesRousseau, il apparaît que l'homme social vivant en communauté a vocation à organiser la société en définissant un corpus normatif régulant la vie en collectivité. Malgré une simplification évidente des univers virtuels, ils réunissent des milliers d'intervenants qui interagissent et forment, ensemble, de véritables petites sociétés.
Même virtuelles, les communautés de résidants des mondes virtuels évoluent sur le modèle de leurs homologues « réelles » et reproduisent les mêmes mécanismes politiques. Dès 1995, Howard Rheingold (mais aussi Théodore Newcomb[1] à propos des associations libres) définissait les communautés virtuelles comme des « groupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participe [...] avec suffisamment de coeur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace[2] ». Peu importe l'utilisation de moyens de communications numériques, l'existence de la communauté virtuelle est conditionnée à l'émergence d'un sentiment d'appartenance au groupe et d'interactions entre ses membres, aujourd'hui à la base du jeu en ligne et au coeur du gameplay des MMOG. A la même époque, en 1995, le professeur en communication Pierre Léonard Harvey considérait les communautés virtuelles comme « des groupes [...] de citoyens ayant des interactions fortes grâce à des systèmes télématiques à l'intérieur de frontières concrètes, symboliques ou imaginaires». Outre l'usage du qualificatif citoyen pour désigner les membres du groupe (les investissant ainsi d'un rôle actif au sein de la Cité), Harvey associe les communautés virtuelles à la notion d'espaces clairement délimités par des frontières. Et il continue : « les membres des communautés virtuelles partagent des codes, des croyances, des valeurs, une culture et des intérêts communs ». Ainsi, un contrat social s'instaure entre les membres d'une communauté, et s'impose à tous au travers de l'établissement de « mécanismes de régulation qui assureront la stabilité et le maintien du groupe ». Les communautés fondent ainsi consciemment ou non des « valeurs et systèmes normatifs », s'appuyant sur des codes formels ou informels que les joueurs apprennent à connaître et à appliquer dans leurs activités quotidiennes.
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