Quand jouer à un MMORPG n'est plus une aventure
Le genre massivement multijoueur connait une certaine désaffection. Pourquoi ? Peut-être parce que les MMORPG les plus récents ont oublié la notion d'aventures, laissant trop peu de place à la découverte et à l'imprévu.
Genre populaire des années 2000, le MMORPG a progressivement perdu en popularité au cours de cette dernière décennie. Déjà en 2011, World of Warcraft voyait sa population décliner après un pic à 12 millions d'abonnés, symbole d'une industrie qui battait de l'aile. Les nouveaux titres se sont succédé : certains, à l'image de Star Wars The Old Republic, The Elder Scrolls Online ou Final Fantasy XIV se sont péniblement redressés après des débuts difficiles, beaucoup n'ont pas décollé, et d'autres même ne sont jamais sortis malgré les mastodontes de l'industrie qui étaient à la manœuvre (on se souvient du Project Titan de Blizzard, de World of Darkness Online de CCP, ou encore EverQuest Next chez Sony Online).
Depuis quelques années, les MMO AAA se font plus rares, conséquence d'une recette qui peine à se renouveler. Certains studios tentent encore leur chance grâce au financement participatif, un système qui suscite une certaine méfiance à force de projets avortés ou qui ne respectent pas les promesses initiales. Et des MMO autrefois phares, comme WildStar ou Aion, ont aujourd'hui fermé leurs portes ou voient leur suite humblement déclinée sur mobile (et non, ce n'est pas une «Out of season April fool» ! ).
Quelles raisons derrière cette baisse de popularité ?
La lassitude des joueurs ? L'émergence de nouveaux genres populaires ? La casualisation ? L'émergence de nouveaux usages ? Le tout-solo ? La société de consommation ? Il y a autant d'avis que de joueurs qui se sont penchés sur la question et j'aimerais aujourd'hui vous partager le mien.
Qu'est ce qui nous motive à jouer à un MMORPG ?
Si certaines attentes varient selon les profils des joueurs, sans doute y a-t-il un sentiment que l'on recherche tous plus ou moins : la découverte.
Parcourir un MMO, c'est avant tout une aventure où l'on découvre tout un tas de nouvelles choses et découvrir de nouvelles personnes. On veut explorer un monde, admirer ses paysages, déceler ses mystères, on veut rencontrer des gens avec qui tisser des relations, tester une capacité fraîchement acquise ou bien savoir ce que renferme ce coffre caché au fond d'une grotte.
Découvrir, c'est aussi improviser, prendre des risques, sur un MMO, je n'aime pas l'idée d'avancer vers un objectif en sachant à l'avance comment je vais l'atteindre. Et si nos meilleurs souvenirs sont souvent des situations en rapport avec nos débuts sur le jeu, c'est parce que chaque instant nous apportait quelque-chose de nouveau.
Après des heures à gambader dans l'arbre monde de Teldrassil, je me souviens de l'émerveillement ressenti en ouvrant la carte et en comprenant que l'immense forêt dans laquelle je m'étais perdu n'était qu'une portion infime de ce monde. J'ai alors réalisé l'étendue des possibilités que m'offrait le jeu.
Bref, la découverte c'est tout ce qui engendre des surprises, des nouveautés ou des possibilités, et c'est ce qui fait toute la beauté d'une aventure. Si c'est un sentiment naturellement présent lorsqu'on commence un nouveau MMO, il s’efface souvent rapidement au profit de la linéarité et de la répétition.
Il est compliqué d'évaluer le degré de découverte dans un jeu, car c'est un sentiment personnel que l'on ressent plus ou moins en fonction du design, du contenu ou encore de notre expérience passée, notamment avec d'autres. Et que ce soit pour nous les joueurs ou les développeurs, il est plus simple d'axer ses objectifs autour d'activités concrètes, comme le PvP qui engendre de la compétition, le PvE de la coordination, ou les quêtes pour développer une narration, plutôt qu'autour d'un sentiment aussi vague qu'est celui de découverte.
Mais c'est pourtant un composant essentiel qui influence grandement notre expérience de jeu et que ce soit via les mécaniques de jeu, la façon dont le contenu est généré ou même les pratiques marketing, les développeurs peuvent influencer la façon et la vitesse à laquelle on découvre un jeu.
La découverte dans le "RPG"
Les jeux de rôles papier, qu'on peut considérer comme les précurseurs des MMORPG, ont des mécaniques qui favorisent naturellement ce sentiment de découverte.
- De par le maître du jeu, qui le renouvelle en dépeignant le monde et en mettant en place des situations au fur et à mesure de notre avancée ;
- De par l'aléatoire des dés, qui génèrent rebondissements et situations inattendues ;
- De par la liberté de choisir comment faire évoluer son personnage, ce qui engendre des situations uniques lorsqu'on est amenés à interagir avec d'autres personnes ;
- Ou encore, de par la liberté de choisir comment faire face aux situations que nous présente le maître du jeu.
Car liberté et découverte sont étroitement liées. De façon générale, plus nos actions ou décisions sont libres, plus le sentiment de découverte qui en découle est puissant.
Il est bien plus gratifiant de trouver un trésor caché au fond d'une grotte, si j'ai choisi de mon propre chef de m'y engager, plutôt que si c'était l'aboutissement d'un fil rouge que je me contentais de suivre.
Dans Rift, on est récompensé en collectionnant des artefacts, de minuscules gemmes scintillantes dispersées aléatoirement aux quatre coins du monde. On ne les remarque que si on prend la peine de les chercher : Derrière un arbre, sous un rocher, certains mêmes sont cachés à des endroits accessibles uniquement en « trichant » !
Et si les premiers MMO s'inspiraient des jeux de rôles papiers, beaucoup s'en sont aujourd'hui éloignés.
C'est sans doute en partie dû à un changement dans la façon dont les joueurs et développeurs abordent la progression. Faire progresser son personnage a toujours été une motivation centrale dans les MMO, mais comparé à aujourd'hui, on ne cherchait moins à l'optimiser, ni à l'accélérer. On expérimentait comme bon nous semblait sans se soucier d'être le premier au DPS, et on prenait le temps d'explorer car le niveau maximum n'était qu'un lointain rêve. Mais les mentalités ont évolué, et avec elles, nos priorités.
En tant que joueur, les mécaniques de jeu nous encouragent désormais davantage à optimiser notre progression pour être performant le plus rapidement. Naturellement, comme il y a toujours un chemin plus optimisé que les autres, cela rend la progression linéaire et n'encourage pas à explorer d'autres possibilités. C'est un cercle vicieux, car les développeurs créent ou modifient les règles du jeu suivant les attentes de leur audience.
L'ILV (où item level) sur World of Warcraft : Un indicateur apparu après quelques extensions. C'est en apparence un simple nombre reflétant la qualité globale de notre équipement, mais en le rendant visible aux yeux des autres joueurs et en segmentant le contenu en fonction de son niveau, il est difficile d'en faire abstraction. L'ILV devient alors une obsession pour beaucoup de joueurs et on passe le plus clair de notre temps à répéter le même contenu en boucle pour l'augmenter.
Allant de pair avec l'optimisation, l'équilibrage est aujourd'hui une notion à laquelle les joueurs et développeurs accordent beaucoup (trop) d'importance. Les MMO des années 2000 étaient souvent déséquilibrés. En prenant le World of Warcraft originel comme exemple, il y avait une poignée de classes qui dominaient en PvP, une seule pièce d'équipement pouvait donner un avantage considérable et certains contrôles duraient une éternité. Si ce déséquilibre pouvait être source de frustration pour les joueurs, c'était surtout un magnifique terrain de jeu pour les développeurs, car cela leur donnait la liberté d'expérimenter et d'introduire ce qu'ils voulaient sans se soucier de déséquilibrer le jeu. Et cela encourageait les joueurs à faire preuve de créativité.
En visant un équilibrage parfait, cela a des conséquences sur la liberté et la découverte. Les choix s'en voient plus restreints, car il est plus pratique pour les développeurs d'équilibrer un jeu comme Aion qui a une seule classe tank et une seule classe soigneur avec des choix limités en terme d'évolution, qu'un jeu comme Dark Age of Camelot qui nous laissait le choix entre des dizaines d'archétypes différents.
Là aussi pour faciliter l'équilibrage, l'aléatoire est devenu quasi-inexistant dans notre gameplay, pourtant c'est le facteur décisif des JDR papiers et ça pourrait être un moyen efficace de créer des situations inattendues.
Autrefois sur Dofus, le sort « Bluff » de l'écaflip infligeait des dommages aléatoires pouvant être très bas comme très élevés.
La démocratisation de l'e-sport ou plus généralement de l'aspect compétitif et la volonté des développeurs d'introduire cet aspect dans les MMO n'a pas arrangé les choses, puisque l'équilibrage est le maître mot de toute compétition.
Cette « progression optimisée » se retranscrit aussi dans le level-design, devenu beaucoup plus linéaire, que ce soit par son aspect (« maps couloirs ») ou la façon dont les objectifs sont séquencés. Même dans les MMO ayant des mondes ouverts, il y a une ligne rouge à suivre et peu d'intérêt pour le joueur à s'en éloigner.
Ne vous y trompez pas, si la map est open-world, tout est fait pour vous encourager à réaliser les quêtes dans un ordre précis.
Bref, avec ce changement de direction qui vise un équilibrage parfait et nous pousse à optimiser notre progression, l’expérience de jeu s'est progressivement éloignée de ce qu'elle était à la base. La liberté s'est vue remplacée par la linéarité, la surprise par le prévisible et la découverte par le répétitif.
La découverte dans les "MMO"
L'autre intérêt du genre, au-delà d'explorer un monde et d'y faire évoluer son personnage, c'est de découvrir d'autre personnes, que ce soit pour partager une émotion le temps d'un instant ou démarrer une amitié qui durera plusieurs années.
Encore faut-il avoir une raison d'engager la conversation.
Car comme dans la vraie vie, si on est en théorie libre de parler avec la première personne qu'on croise, on le fait rarement en pratique. Cela naît souvent d'un besoin, soit pour surmonter une difficulté individuelle, soit pour atteindre un objectif commun.
S'il était autrefois banal de demander de l'aide ou des informations à un autre joueur; La baisse de la difficulté, les tutoriels et outils en tout genre ont aujourd'hui comblé ce besoin, et nous apportent une réponse avant même d'avoir le temps de se poser la question.
À l'époque où il fallait lire son journal de quête pour localiser ses objectifs, je ne parvenais pas à trouver un ennemi que je devais vaincre pour compléter ma quête principale. J'ai alors demandé de l'aide au premier personnage qui a croisé ma route: Nyssan, une elfe avec 40 niveaux de plus que le mien. En plus de m'avoir aidé à compléter ma quête, elle a pris la peine de m'escorter jusqu'à la capitale des humains qui se trouvait à quelques heures de marche, puis m'a invité dans sa guilde dans laquelle je suis resté deux ans. Situation qui ne serait jamais arrivé aujourd'hui où une flèche et un gros point jaune sur ma mini-carte m'auraient facilité la tâche.
Grouper avec d'autres joueurs pour accomplir un objectif en commun s'est également raréfié.
Aujourd'hui, la phase de leveling se réalise seul ou presque, notamment à cause de l'importance qu'a pris la narration et notre personnage au cœur de celle-ci. Les développeurs ont désormais tendance à faire de notre personnage un élément clef de la trame principale. Première incohérence avec le genre. On n'incarne plus un personnage de notre choix, mais un héros avec un destin tout tracé. Et même si le RolePlay n'est pas la motivation principale pour beaucoup d'entre nous, il n'en reste pas moins une facette élémentaire du genre qu'on ne peut ignorer.
J'y vois aussi un problème de logique et d'immersion. Personnellement, j'ai du mal à croire un PNJ qui me couvre de titres et de gloire pour avoir sauvé le monde du chaos, quand je sais qu'il fait de même aux 20 autres joueurs agglutinés autour de lui.
Mais surtout, ça nous coupe des autres joueurs, car pour développer cette narration, les quêtes sont séquencées linéairement et ne sont pas conçues pour être réalisées par deux personnages qui en sont à un point différent de leur progression.
Et du coté des développeurs, tous les moyens sont bons pour renforcer cette narration. Cinématiques, mises en scène, dialogues audio, phasing, instance... Mais c'est selon moi un mauvais pari, car en plus de nous enfermer dans notre bulle, ça coûte cher à concevoir, ça n'intéresse pas tout le monde, c'est rapidement consommable, ça n'encourage pas la rejouabilité, et surtout, ça ne sera jamais aussi immersif que sur un jeu solo.
"Some of the risks that we identified going into launch were becoming worse than we thought... The most worrisome was that people were going through the content a lot faster than we expected"
Traduction: « Certains risques que nous avions identifiés avant la sortie du jeu se sont avérés pires que prévu, le plus inquiétant était que les joueurs consommaient le contenu beaucoup plus rapidement que nous l'imaginions »
James Ohlen, le directeur créatif de Star Wars: The Old Republic, un MMORPG avec un budget colossal, mais dont une grosse partie est passée dans les dialogues audio.
Il ne suffit pas non plus de créer des activités de groupe pour que nous communiquions, encore faut-il que la difficulté soit au rendez-vous, car une fois de plus, la difficulté engendre un besoin, et c'est ce besoin qui pousse au dialogue. Mais dans le but de rendre les jeux accessibles au plus grand nombre, la difficulté globale des MMO a au contraire été largement revue à la baisse. Si les joueurs ne communiquent pas entre eux lorsqu'ils ferment des failles sur Rift, qu'ils participent à des événements dynamiques sur Guild Wars 2 ou des donjons sur World of Warcraft, c'est simplement car le challenge n'est souvent pas au rendez vous.
Beaucoup de MMO proposent bien des objectifs difficiles qui requièrent de communiquer, mais c'est souvent une partie infime du contenu, de haut niveau, et s'il faut attendre trois mois le temps que notre personnage soit suffisamment fort pour y accéder, c'est un peu tard pour un genre qui se revendique massivement multijoueur.
Le marketing ou l'art de spoiler
On a pour beaucoup connu nos premiers MMORPG via le bouche à oreille et on ne connaissait pas grand-chose des jeux avant d'y mettre les pieds. Me concernant, j'avais vaguement entendu parler de WoW durant mes cours de Solfège, et ce que j'avais lu dans le livret du boîtier en revenant du magasin était tout ce que je connaissais du jeu avant d'y mettre les pieds.
Mais dans l'ère du temps, la communication et les pratiques marketing ont évolué. Il est maintenant banal pour des développeurs ou éditeurs de communiquer sur un MMORPG des années avant sa sortie officielle. Les informations ont alors le temps d'être digérées, analysées, spéculées et cela suffit à tuer dans l’œuf le sentiment de « tout nouveau » qu'on aurait eu il y a 15 ans.
Cette divulgation d'informations empire souvent en se rapprochant de la date de sortie, lorsque fleurissent alphas, bêtas, accès anticipé... toutes ces « fausses sorties » qui permettent aux joueurs de consommer le contenu en avant première et aux influenceurs de le partager. Si ça permet certes de dénicher des bugs ou de tester la capacité des serveurs, ça a surtout comme effet de drastiquement réduire le sentiment de découverte lors de la sortie officielle.
Les arbres de talents des différentes classes de « Tree of Savior » étaient disponibles des mois avant la sortie du jeu, et les bêtas n'avaient presque pas de limites. Résultat : il était possible de découvrir tout le contenu et de planifier en détails la progression de son personnage avant même la sortie officielle.
Et si je voyais autrefois la NDA (clause de confidentialité) d'un mauvais œil, je comprends aujourd'hui mieux son utilité.
Faire perdurer le sentiment de découverte
Même en respectant les codes des jeux de rôles papiers et en poussant les joueurs à interagir entre eux, reste le problème du contenu. Comment créer un contenu qui retienne les joueurs des années durant ?
Cela a toujours été un problème majeur pour les développeurs, et beaucoup ont choisi l'option de facilité : la répétition, que l'on retrouve sous toutes ses formes.
- Dans les theme parks occidentaux, la phase de « leveling » est souvent triviale et l'accent est mis sur la partie « end-game » qui nous demande de répéter en boucle des quêtes journalières ou des donjons pour faire progresser notre avatar ;
- Dans les MMO asiatiques, les quêtes sont anecdotiques et tuer des monstres est généralement la seule façon de monter en niveaux, mais la courbe d’expérience est faite de telle façon qu'il faille en tuer des centaines à la chaîne ;
- Dans les MMO dit « sandbox », passée la phase de découverte et d’exploration, le farm de ressources devient bien souvent l'activité principale.
Bref, peu importe le type de MMO, on se retrouve rapidement à devoir répéter la même chose en boucle pour progresser.
Mais la répétition est l'antithèse de la découverte, alors en articulant l’expérience de jeu autour d'un contenu répétitif, les développeurs se tirent une balle dans le pied. Les activités répétitives ont tout à fait leur place si elles sont optionnelles. Aimant m'investir dans l'artisanat, je peux prendre plaisir à miner ou pêcher pendant des heures mais uniquement parce que c'est un objectif que je m'étais fixé, et non qui m'était imposé.
Dofus, le bon élève. Sur ce MMORPG tactique, le joueur progresse en tuant des monstres en boucle, mais contrairement au bash typique de certains MMORPG, Dofus a ce que j’appellerais un « bash intelligent ». Il y a des groupes de monstres que le joueur peut choisir d'affronter suivant le challenge qu'il souhaite s'imposer. Chaque combat est instancié sur une carte, et si on prend en compte tous les paramètres qui influencent le combat (taille et forme de la carte, nombre et type de monstres qui composent le groupe...), on se rend compte que chaque combat est unique, limitant fortement le sentiment de répétition.
Mais même sur Dofus, après des années à parcourir le monde en long et en large, il arrive forcément un moment où on épuise le contenu du jeu, et c'est tout a fait normal. On ne peut pas exiger des développeurs de créer un contenu qui nous émerveille indéfiniment.
En somme, si les développeurs ont de nombreux moyens à leur disposition pour faire renaître le sentiment de découverte dans le genre du MMORPG, c'est aussi à nous d'admettre que toute aventure a une fin, et si un jeu est suffisamment riche pour nous retenir quelques années, au fond, ce n'est déjà pas si mal.
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