Bilan 2014, tendances 2015 : vers une résurgence des « gameplay sociaux » ?
Lors de la BlizzCon en novembre dernier, Alex Afrasiabi reconnaissait avoir oublié la dimension sociale du MMO dans World of Warcraft. Plusieurs développeurs de MMO semblent faire le même constat et en 2015, nombreux sont les MMO à replacer le joueur au coeur du gameplay.
Malgré ses dix ans d'âge, World of Warcraft se classe encore aujourd'hui parmi les MMORPG les plus joués au monde (quelque dix millions d'abonnés étaient recensés dans la foulée du lancement de l'extension Warlords of Draenor). Une popularité qui ne se dément pas au fil des ans et pourtant les équipes de Blizzard reconnaissent certains dysfonctionnements dans le gameplay du MMORPG. Le jeu est certes populaire, mais le développeur reconnait avoir oublié la dimension sociale du MMO et manifestement, Blizzard n'est pas le seul à dresser ce même constat, au point que nombre des MMO attendus en 2015 replace le joueur au coeur au gameplay.
« On a oublié la dimension sociale du MMO »
World of Warcraft est l'un des fleurons du MMO theme park (reposant donc sur un contenu « consommable » de plus en plus souvent narratif, créé par l'équipe de développement qui doit donc sans cesse se renouveler), mais dans le cadre d'un entretien accordé à la WOW Insider durant la BlizzCon de cette année, Alex Afrasiabi (le directeur créatif de WoW) concédait « avoir oublié la dimension sociale » du MMO.
Alex Afrasiabi : [...] Je pense que nous avons fait du bon boulot en matière de narration, notamment depuis Wrath of the Lich King -- il me semble que nous avons posé des bases avec Wrath et que nous faisons de mieux en mieux depuis. Mais en corolaire, l'un des éléments qu'à mon avis nous avons peut-être perdu de vue en cours de route, et c'est ma faute plus que tout autre, est la dimension sociale de l'univers dans un MMO. Parce que nous avons fait de gros progrès dans la capacité à vous proposer un contenu de plus en plus personnel et des histoires davantage riches de sens spécifiquement pour votre personnage, mais en adoptant cette approche, et de la façon dont nous avons adopté cette approche, vous risquez de déconnecter le joueur du monde social qu'est un MMO. »
Fort du constat, Alex Afrasiabi dit travailler dorénavant pour réintégrer cette « dimension sociale » au MMORPG de Blizzard : « nous allons faire de vrais efforts pour concilier les deux, parce que nous savons qu'il est possible de proposer les deux, de garder à la fois le joueur et l'histoire à l'esprit, tout en maintenant l'expérience de jeu de ce que doit être un MMO ».
Encourager les interactions entre les joueurs
Au-delà du cas particulier d'Alex Afrasiabi et de World of Warcraft, chantre du MMO theme park, d'autres ont fait le même constat en 2014 et semblent redécouvrir la principale originalité des MMORPG : le fait de réunir des centaines, voire des milliers de joueurs dans un même monde et imaginer des mécaniques de jeu encourageant des interactions sociales entre ces joueurs -- sans laisser cette « sociabilité » aux réseaux dits sociaux quand bien même ils revendiquent aussi aujourd'hui une dimension ludique.
En conséquence, on voit émerger deux principaux axes de gameplay plus interactifs parmi la cohorte de titres attendus en 2015 : l'un reposant sur des mécaniques basés sur l'affrontement des joueurs (du PvP pour les plus belliqueux) et l'autre axé sur un regain d'intérêt pour des systèmes de jeu plus pacifiques laissant une vraie place aux artisans et autres commerçants, dorénavant pleinement intégrés à un écosystème global (la dimension sociale devient motrice d'interactions).
Une approche davantage « sandbox »
Comme souvent, l'exemple est venu d'Asie (toujours en pointe en matière de MMO), mais a vite gagné aussi l'Occident -- les exploitants de MMO semblent avoir finalement intégrés que le WOW killer attendu depuis dix ans ne sera pas un « clone de WOW » et plusieurs titres massivement multijoueurs commencent donc déjà à poser les bases d'un gameplay plus social et interactif -- et ils sont plus nombreux encore à revendiquer cette approche en 2015.
En Corée du Sud, même si ArcheAge ne franchissait pas totalement le cap dès l'année dernière, le MMO du studio XL Games posait néanmoins quelques jalons grâce à un gameplay dit « sandpark » laissant la part belle à l'artisanat, au travail collectif et au commerce entre joueurs. Et en Occident, on peut sans doute mentionner Elder Scrolls Online qui imagine le continent Cyrodiil pour accueillir les conflits des joueurs issus des trois factions de l'univers de jeu.
Mais l'année prochaine, ce sont surtout Black Desert Online ou Bless qui semble prêt à franchir une étape supplémentaire en matière de gameplay social : le premier déploie un monde conçu comme une vaste plateforme d'interactions (on interagit autant avec les autres joueurs qu'avec les PNJ pour faire vivre un monde collectivement) et le second mise de son côté sur des mécaniques PvP sans doute un tantinet plus riches que celles proposées jusqu'à présent par les développeurs de MMO (grâce à des guerres de faction mâtinées de conflits entre guildes à différents échelons régionaux, permettant tant aux militaires qu'aux politiciens de s'exprimer).
En Occident, le studio Sony Online se positionne à l'avant-garde de cette évolution de gameplay, notamment avec H1Z1, le MMO de survie du développeur. Dans un vaste monde contemporain, le gameplay entend reposer exclusivement sur l'interaction des joueurs entre eux : ils coopèrent ou s'affrontent et le développeur se contente d'encourager les rencontres et de créer des enjeux de survie (souvent conflictuels, mais pas uniquement). Et on pourrait multiplier les exemples : dans des mondes fantasy, Camelot Unchained ou Land of Britain misent aussi sur l'affrontement des joueurs dans un monde ouvert ou une revalorisation de l'artisanat. Dans l'espace, Star Citizen ou Elite Dangerous (voire No Man's Sky) se veulent des simulations spatiales encourageant l'exploration de mondes infinis ou presque et laissés aux mains des joueurs.
Quand le joueur se fait architecte
Certains entendent repousser encore un peu plus les limites actuelles du genre massivement multijoueur en confiant aux joueurs un rôle d'architecte de l'univers dans lequel ils se sont installés -- notamment parce qu'aucun développeur n'est en mesure de rivaliser avec les moyens de productions humains de Blizzard et donc avec le volume de contenu de World of Warcraft, et qu'ils entendent donc mettre les capacités créatrices des joueur à contribution. Et si les « jeux créatifs » (sur PC comme sur consoles) sont légion depuis Minecraft, quelques-uns sortent du lot grâce à leur dimension MMO.
En Occident, après avoir été l'un des chantres du MMO theme park avec la licence EverQuest, Sony Online fait drastiquement évoluer sa franchise avec Landmark et prochainement EverQuest Next. Et l'un et l'autre promettent de replacer le joueur au coeur du gameplay.
Dans Landmark, le joueur façonne son environnement pour initier des grands travaux avec d'autres joueurs, créer ici une arène PvP aux règles originales, là un donjon avec ses pièges, le tout dans un monde regorgeant de ressources à récolter mais aussi hanté de monstres à affronter. Dans EverQuest Next, les actions des joueurs devront avoir de véritables conséquences sur l'univers de jeu, tant sur l'histoire personnelle du joueur et celle collective d'un serveur (on l'évoquait).
Même constat en Asie, notamment avec Peria Chronicles qui invite aussi les joueurs à façonner l'univers de jeu (grâce à un monde conçu en voxel), mais aussi de créer des objets de toutes pièces, à imaginer des mécanismes complexes (pour créer des mini-jeux ou pimenter la visite d'un donjon par exemple), à recruter des PNJ pour peupler son domaine personnel et y alimenter un système économique local, et le tout en y ajoutant la possibilité d'injecter ses propres scripts et portions de code dans le jeu pour donner vie à l'ensemble. Le joueur est replacé au coeur du gameplay, mais aussi de sa conception.
Quand le MMO entend retrouver sa vraie dimension
Au-delà du simple constat et des promesses des MMO à venir l'année prochaine et au-delà, on comprend le sens de cette tendance à venir.
Dans un très lointain passé, les MMO étaient conçus comme de véritables petits mondes (quand Richard Garriott posait les bases d'Ultima Online, il ambitionnait de créer un monde certes numérique, mais qui aurait pu être viable s'il avait été transposé dans la réalité). Cette ambition s'est progressivement délitée au cours des années, notamment parce que les composantes des MMO ont été dispersées : la dimension sociale était laissée aux réseaux sociaux, le PvP était confié aux MOBA, les trames narratives racontées dans des mondes ouverts (re)venaient aux jeux solo et l'artisanat se retrouvait fort dépourvu face aux possibilités des jeux créatifs.
Aujourd'hui, avec le développement technologique (la démocratisation du voxel, des connexions très haut débit et des serveurs toujours plus puissants permettant d'accueillir des mondes toujours plus vivants), le MMO semble en mesure de retrouver sa vraie dimension : à nouveau, les développeurs de jeux massivement multijoueurs ambitionnent manifestement de concevoir des « mondes » et plus encore, ils semblent enfin prêts à positionner les habitants de ces univers (les joueurs) à leur juste place, c'est-à-dire à celle leur permettant de les faire vivre et non simplement d'en consommer le contenu.
Alors évidemment, on ne cédera pas à la naïveté de croire que les promesses se concrétiseront toutes. Pour autant, les intentions sont manifestement là et c'est sans doute suffisant pour regarder 2015 au moins avec un peu de curiosité.
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