Historique des MMOG #2 - Les jeux de plateau
Ces jeux inspirés du Chaturanga hindou se présentent comme une simulation des réalités de l'époque (luttes de pouvoirs de la noblesse, la principale population susceptible de jouer) mais l'univers y est encore très symbolique et abstrait (un plateau de 64 cases).
Au fil du temps, la représentation symbolique très abstraite de l'univers de jeu et du joueur va évoluer vers une identification de plus en plus réaliste. En 1811, les simulations guerrières passent un nouveau cap avec le Kriegsspiel prussien (traduit littéralement de l'allemand par "jeu de guerre") consistant à reproduire les batailles des conflits armés les plus célèbres en simulant les mouvements de troupes à une échelle réduite. Premier d'une longue lignée, le Kriegsspiel prussien va inspirer les très nombreux Wargames[6] américains (comme Tactics, par exemple, dès 1954). Pour la première fois en matière de jeu, l'univers de jeu est réaliste[7] et respecte la géographie des lieux ayant porté les batailles célèbres reproduites. On constate une volonté accrue d'immersion du joueur dans l'univers ludique.
Dans les années 70, aux Etats-Unis, les Wargames qui invitent le joueur à contrôler des armées entières engendreront les jeux de rôle qui personnifient dans l'univers de jeu, la représentation du joueur qui ne contrôle plus qu'un unique personnage.
1.2. Le jeu de plateau
Le jeu de rôle se distingue du Wargame par la personnification du joueur mais aussi et surtout par le fait que le personnage progresse, évolue, acquière une expérience au contact de l'environnement dans lequel il évolue. Le jeu de plateau apparaît dans comme la première étape d'une métaphore de l'accomplissement personnel.
Ainsi, dès 200 avant JC, le jeu hindou Moksha-Patamu (importé en Grande Bretagne en 1892 sous le nom Snakes and Ladders, ou Serpents et Echelles) symbolise le parcours moral poursuivi par le joueur tout au long de sa vie pour finalement atteindre le Moksha, le ciel ou le bonheur au terme du cycle de ses réincarnations hindouistes. Composé de 100 cases (la 100e case étant le Nirvana hindouiste), le jeu prévoit des raccourcis prenant la forme "d'Echelles" pour le joueur vertueux (les vertus révélées par Krishna étant la foi, le sérieux, la générosité, la connaissance et l'ascétisme) et des pièges augmentant le nombre de réincarnations avant d'atteindre le Nirvana et symbolisés par les Serpents attendant le joueur "désobéissant, vaniteux, vulgaire, voleur, menteur, alcoolique, mauvais payeur, colérique, avare, fier, meurtrier ou convoitant le bien de son prochain".
Lors de son importation en Europe, les vices et vertus du jeu ont par ailleurs été adaptés à la morale de la société victorienne du XIXe siècle. Ainsi, "la pénitence, l'épargne et l'industrie" furent élevées au rang de vertus alors que "l'indolence, la fantaisie et la désobéissance" promettaient le joueur aux pires tourments.
On pourra noter ici que la personnification du joueur répond à un système de valeurs et à des idéaux culturellement établis dans une société donnée, facilitant son identification. La représentation du joueur s'inscrit alors dans ce que les psychanalystes nomment une projection du moi dans l'univers ludique.
Par ailleurs, nous y reviendrons plus en détail ultérieurement, l'adhésion à un système de valeur commun est, sociologiquement, l'un des critères fondamentaux à l'émergence de "communautés". Or, la notion de communautés virtuelles se révélera être la base du développement des sociétés virtuelles, servant souvent de base aux jeux en ligne massivement multijoueurs.
Plan | Rappel Chronologique
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6 Histoire du Wargames (www.wargamesdirectory.com/). Bien qu'étant résolument pacifiste, on pourra noter, et ce n'est sans doute pas une coïncidence, H.G. Wells (Little Wars 1913) était un adepte des Wargames et collectionnait les figurines historiques de soldats.
7 Voir notamment "My Tiny Life: Crime and Passion in a Virtual World" par Julian Dibbel (éd. Paperback), discussion sur la cartographie et les mondes virtuels.