GDC 2008 : Les licences, l'avenir du MMO ?
Jack Emmert (Cryptic Studios) qui vient de perdre la licence Marvel ou encore Rob Pardo (Blizzard), Ray Muzyka (Bioware) et Min Kim (Nexon) qui ont popularisé leurs propres licences ou encore Matt Miller (NCsoft) apportent leurs réponses à ces questions au regard d'expériences très diverses.
L'édition 2008 de la « Game Developers Conference » accueillait la fine fleur de l'industrie vidéo ludique à San Francisco et laissait cette année, la part belle aux MMORPG. Sans doute parmi les interventions les plus notables (et très largement relayées par la presse spécialisée), la conférence « The Future of MMO » réunissait Jack Emmert (Cryptic Studios, le spécialiste des MMO de Super héros), Min Kim (Nexon, l'éditeur du colossal MapleStory qui revendique plusieurs dizaines de millions de joueurs à travers le monde), Matt Miller (NCsoft, le « développeur d'au moins la moitié des MMO aujourd'hui disponibles sur le marché »), Ray Muzyka (cofondateur de Bioware Corp, travaillant actuellement au développement d'un titre massivement multijoueur encore non annoncé) et enfin Rob Pardo (Blizzard Entertainment, le studio ayant imaginé World of Warcraft).
Orchestré par Jon Woods (du site MMORPG.com), cette « Dream Team » de l'industrie du MMOG a généreusement partagé sa vision de l'avenir du secteur autour de plusieurs thématiques récurrentes comme l'émergence de nouveaux modèles économiques (abonnements mensuels ou ventes de contenu à l'unité ?), la place du MMO sur consoles ou encore l'importance des licences dans la réalisation d'un MMO.
Bien loin de tous avoir des opinions convergentes sur ces différents sujets, les confrontations des intervenants parfois virulentes, parfois plus souriantes et leurs spéculations quant aux projets futurs de leurs concurrents respectifs, se révèlent instructives.
Premier sujet d'interrogation : les avantages et inconvénients à utiliser une licence célèbre lorsqu'on développe un MMORPG. Et plus largement, aujourd'hui, un MMORPG d'envergure (AAA) peut-il encore être un succès sans une licence ?
A l'image des dernières sorties d'envergure (The Lord of the Ring Online) ou des titres attendus pour les semaines et mois à venir (Age of Conan, Warhammer ou encore StarGate Worlds), les MMORPG inspirés de livres, films ou séries populaires ont manifestement le vent en poupe.
Jack Emmert (Cryptic Studio) se révèle évidemment particulièrement intéressé par les questions de licences au regard de l'actualité récente. Son studio devait en effet développer « Marvel Universe Online », un MMORPG mettant en scène les Super héros des Comics Books des éditions Marvel (Spider Man, les X-Men, Hulk, entre autres). Le développement du jeu sera annulé juste avant que Cryptic n'annonce le lancement prochain de Champions Online, un autre MMO de Super héros inspiré d'une licence infiniment plus modeste (les jeux de rôle Champions et Dark Champions).
Fort de cette expérience récente, il précise que « les éditeurs et investisseurs adorent les licences célèbres (comme Marvel) dans la mesure où elles s'accompagnent une base de fans » susceptibles de suivre le projet dès les premières phases de développement. Une licence est aujourd'hui « la garantie d'un certain retour sur investissement » et au vue du « coût actuel d'un MMORPG - merci Rob ! [en référence à Rob Pardo, le développeur de World of Warcraft], les studios sont particulièrement attirés par les licences » (lire aussi : le budget des MMO).
Pour autant, « les créations originales sont bien plus simples à gérer puisqu'elles n'imposent pas de plaire à tout prix à une société tierce » (faut-il y voir un signe quant aux rumeurs laissant entendre que son studio aurait repris le développement d'un Star Trek Online ?).
Opinion que rejoint Min Kim (Nexon), en charge de la valorisation de la licence MapleStory à travers le monde. Concevoir un jeu reposant sur une licence préexistante n'est autre qu'une « grosse prise de tête ». Nexon a toujours construit ses propres bases de fans sur des licences imaginées en interne et continuera dans cette voix. La société ne conçoit pas de « consacrer cinq ans ou plus au développement d'un jeu reposant sur les idées d'un autre ».
Mais pour Matt Miller (NCsoft), les joueurs « apprécient aussi de retrouver un univers qu'ils connaissent déjà ».
Selon Ray Muzyka, il convient d'être plus modéré. « Toutes les licences célèbres ont d'abord été des créations originales ». Bioware a imaginé plusieurs univers originaux pour des jeux qui ont connu un certain succès (Mass Effect, ou Jade Empire par exemple) mais est également l'artisan de l'adaptation fidèle de moult jeux de rôle (la série des Baldur's Gate ou Neverwinter Nights, plongeant le joueur au coeur des Royaumes Oubliés de Donjons et Dragons, notamment). Mais au final, « une licence coûte chère » que le développeur soit obligé de payer pour l'acquérir ou de payer une équipe susceptible d'en imaginer une originale. « Le prix, au final, est sensiblement le même, il n'y a donc pas de réel avantage à faire un jeu reposant sur une licence célèbre » et Bioware aborde ses titres originaux ou « à licence » sensiblement de la même façon.
Rob Pardo (Blizzard) tend à corroborer cette approche dans la mesure où l'univers de Warcraft qui a inspiré le MMORPG était une licence forte qui revendiquait déjà à l'époque une solide base de fans mais qu'elle appartienait à Blizzard. C'était un « solide point de départ » pour Blizzard, « World of Warcraft a nécessité quelque cinq années de développement et il en aurait fallu bien plus avec un concept totalement inédit ». Et « quand vous n'avez jamais fait de MMO avant, une licence est un bon point de départ ». Outre le fait d'accélérer le développement d'un titre, travailler sur une « licence interne permet aussi une certine liberté créatrice » abordée par Min Kim précédemment.
Au regard des résultats, la démarche de Blizzard fait manifestement figure de compromis le plus efficace... même si toutes les tentatives d'adaptations de jeux solos à succès en MMO n'ont pas toujours été une réussite (The Sims Online, par exemple, n'a jamais rencontré son public, bien que les titres « offline » de la série se classent régulièrement parmi les meilleures ventes partout dans le monde).
Au regard des expériences respectives de ces géants de l'industrie vidéo ludique, il apparaît que nombre d'entre eux ont construit leur propre licence, s'autorisant une certaine créativité susceptible de rivaliser avec des impératifs financiers... Mais sans mauvais procès, c'est manifestement aussi la réussite actuelle de cette poignée de créateurs (réussite parfois construite depuis plusieurs dizaines d'années) qui pousse aujourd'hui les « plus jeunes » à recourir à des licences déjà solidement ancrées dans la culture des joueurs... Entretenant ainsi un cercle vicieux (ou vertueux, c'est selon), peut-être peu propice à l'originalité.
» lire aussi : De l'importance du budget dans la réalisation d'un MMORPG »
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