MMORPG et jeu excessif chez les mineurs
Travaillant notamment sur les opportunités thérapeutiques qu'offre le jeu vidéo, Michael Stora est également régulièrement confronté aux problématiques d'addiction et de jeu excessif chez les mineurs.
Au regard de l'expérience pratique de Michael Stora, son intervention est pour nous l'occasion d'essayer de dresser le portrait robot des jeunes joueurs de MMORPG amenés à consulter pour une pratique excessive du jeu en ligne, mais aussi celui de leur famille et de décrypter les grandes lignes des processus psychologiques pouvant mener certains mineurs à jouer trop.
En liminaire et au regard des remarques du psychiatre, il apparaît nécessaire de prendre le plus grand soin quant à l'usage de certains termes utilisés en la matière. Malgré une utilisation abondante dans les médias, il ne semble pas opportun, voire dangereux, de qualifier « d'addiction aux jeux en ligne », le comportement d'un mineur jouant parfois beaucoup ou confronté à des problématiques liées aux jeux en ligne. On parlera donc plus volontiers de « pratiques excessives ».
L'addiction est en effet une notion psychiatrique, fortement connotée et les praticiens ne jugent généralement pas utiles de cataloguer ainsi leurs patients les plus jeunes. L'enfance et l'adolescence constituent des phases de construction de l'être et des périodes naturelles d'évolutions. Stigmatiser un jeune joueur peut entraver sa capacité à se construire sur des bases saines.
Bien qu'il n'existe pas de limites universelles quant nombre d'heures de jeu quotidiennes à partir desquelles on peut considérer qu'un joueur pratique le jeu en ligne de façon excessive (plus de deux heures de jeux par jour pourront constituer certains indices), on considère que la pratique est excessive dès lors qu'on constate une rupture du lien social. Quand les relations familiales s'amenuisent (ce peut être normal à l'adolescence), que le joueur tend à se déscolariser ou que son travail, sa vie sociale, amicale ou amoureuse pâtit du temps qu'il consacre aux jeux, on pourra considérer l'usage est excessif et peut mériter de prendre des mesures pour éviter qu'il prenne le pas sur les activités quotidiennes et réelles.
Pour autant, les jeunes utilisateurs rencontrant des problèmes avec le jeu en ligne ne représentent qu'une infime minorité des joueurs (une étude annonce 0,01% des cas). A ce jour, Michael Stora a été amené à hospitaliser deux de ses patients : un schizophrène (se prenant pour son personnage, persuadé d'être invisible) et un joueur passant le plus clair de son temps dans une salle de jeu en réseau, ayant perdu 17 kilos et développant d'importantes maladies de peau après la mort de son grand-père, l'ayant particulièrement marquée.
Quel profil du joueur excessif ?
Il n'est pour autant pas question de nier l'existence de pratiques excessives chez les joueurs, notamment mineurs. A titre d'exemple, dans le cadre de son activité professionnelle, Michael Stora indique recevoir trois à quatre appels par semaine de parents (plus rarement des joueurs eux-mêmes) dont les enfants jouent de manières excessives. Une minorité franchira le pas d'entamer une consultation.
Plus anedoctique, certains hommes politiques de premier plan seraient également des joueurs assidus de MMORPG au point de devoir consulter des spécialistes. L'un d'eux au moins aurait été adepte de Dofus, MMO auquel il jouait avec sa belle-fille alors qu'il n'avait plus de responsabilité. Un autre s'adonnait à World of Warcraft.
Sans qu'il puisse (ni doive) être généralisé, le profil des joueurs mineurs reçus en consultation est rapidement dessiné : ayant entre 13 et 16-17 ans, environ 80% des joueurs qui consultent sont diagnostiqués comme étant précoces. On ne peut expliquer l'attrait des « enfants précoces » pour le MMORPG (une grande majorité joue à World of Warcraft ainsi qu'aux opus précédents de la série et se passionnent pour la mythologie de l'univers). Pour autant, quelques pistes permettent d'expliquer qu'ils puissent jouer de façon excessive. Il apparaît que les enfants précoces se reposent généralement sur certains acquis et facilités au moins jusqu'en classe de 4ème et en tire une incontestable fierté auprès de leurs parents. La classe de 3ème marque un faussé important en terme d'investissement et de travail scolaire à fournir dont l'enfant n'a pas l'habitude. Une baisse des notes, accompagnée de remarques des parents, peut être vécue comme une blessure narcissique pour l'enfant.
Consciemment ou non, l'enfant pourra chercher à renouer avec le sentiment de victoire qu'il connaissait à l'école. Il pourra le trouver aisément dans le cadre des aventures héroïques que les MMORPG lui permettent de vivre, même artificiellement.
Par ailleurs, développer une forme de dépendance aux jeux en ligne n'est pas une pratique addictive neutre (par opposition à une addiction à l'alcool, la drogue ou même aux jeux d'argent). Le MMORPG permet de développer une image héroïque (même si elle n'est que fantasmée), contrebalançant une perception de soi défaillante.
Le fait que 70% des jeunes joueurs (selon l'expérience de Michael Stora) qui consultent suite à une pratique excessive de jeux en ligne sont déscolarisés lors leur prise en charge tend à corroborer le constat voulant la place de l'enfant à l'école peut être l'une des sources de son comportement.
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