Une (pré) histoire (utile) du jeu vidéo
du jeu vidéo
Plus de trente ans de passion pour les joueurs et d'innovations... Connaître l'histoire du jeu vidéo, c'est aussi prévoir les cycles, les crises et les rebonds des années à venir. Avec Alain le Diberder, consultant en nouvelles technologies, auteur d'ouvrages sur les jeux vidéo, producteur d'émission de télévision.
Dans le cadre de son intervention lors des « Créations Numériques 2006 » de la Cité des Sciences et de l'industrie à la Villette et afin d'éviter des répétitions inutiles, Alain Le Diberder s'est proposé de détailler « une (pré)histoire (utile) du jeu vidéo ». Ce rappel historique remonte donc aux toutes premières origines du jeu vidéo (jusqu'aux jeux mécaniques) et se veut « utile », notamment pour comprendre l'état actuel du marché du jeu vidéo et imaginer son avenir.
Aujourd'hui, le jeu vidéo connaît incontestablement un succès planétaire, mais doit composer avec une « part d'ombre », une mauvaise réputation rapidement associée à la violence inhérente aux jeux vidéo, aux risques d'addiction ou de « fuite de la réalité vers le virtuel » voire d'une américanisation de la culture numérique. Pour tenter de cerner l'origine de cette image ambivalente, Alain le Diberder identifie les « quatre ascendants du jeu vidéo, qui forment son patrimoine génétique actuel » : la micro informatique, la télévision, les salle de jeux et le jeu traditionnel.
Tout d'abord, instinctivement, le jeu vidéo est indissociable de la micro informatique et à l'univers des consoles de jeu. Dès 1972 (soit cinq ans avant le premier Appel 2), l'Odyssey est la première console dédiée au jeu et depuis lors, la majorité des joueurs à travers le monde joueront sur console (et non sur ordinateur). Et même antérieurement, en 1958, un professeur spécialisé en énergie nucléaire soucieux de ne pas paraître trop rébarbatif, inventait un « jeu vidéo de tennis » sur un oscilloscope. Quatorze ans plus tard, Pong devenait un produit commercial.
Ensuite et dans un deuxième temps, le jeu « vidéo » est volontiers associé à la télévision. Le jeu vidéo est (presque) nécessairement visuel et graphique, que ce soit sur une télévision dans le cadre du jeu sur console ou sur un écran d'ordinateur.
Dès 1936, la télévision électronique est imaginée comme un outil ludique. En 1951, Ralph Baer (après avoir rédigé un mémoire sur l'interactivité) posera les bases de la « télévision interactive » qui n'est qu'un écran matérialisant les « jeux » de l'utilisateur. Quelque dix années plus tard, en 1962, Nam June Paik fait de l'ancêtre de la télévision, une oeuvre d'art, support des performances de l'artiste. Là encore, l'écran de télévision est ludique et interactif, posant les bases du jeu vidéo... au point qu'en 1994, Sony (un marchand de télévision) investira le marché du jeu vidéo en se faisant fabriquant de consoles de jeu (avec les différentes version de la PlayStation, notamment).
Déjà à l'époque, le jeu vidéo se révèle être l'enfant hybride entre l'ordinateur et la télévision.
Mais par définition, le jeu vidéo emprunte également aux jeux plus traditionnels : les jeux forains dans un premier temps (qui poseront les bases de l'amusement pour adulte) et les jouets (plus destinés aux enfants) dans un second temps.
Dès 1880 dans l'Ouest américain, on constate une mécanisation des « jeux forains » et des loisirs en général, notamment dans les maisons clauses et casinos (principaux lieux de divertissement de l'époque). L'Ouest américain est peu accessible, la main d'oeuvre manque et se révèle coûteuse, on cherche donc à la remplacer par des automates. Les pianos mécaniques par exemple, se multiplient, tout comme les machines à sous... Dès les années 20, ces jeux mécaniques seront complétés par une multitude de flippers et autres... bornes d'arcades.
Le jeu vidéo trouve ici son troisième ancêtre dont Sega est l'héritier direct. Société de service spécialisée dans les « loisirs de soldats » américains, la société SEGA gère des « salles de loisir pour militaires » après la seconde guerre mondiale.
Ecopant de la même façon de sa « mauvaise réputation », le jeu vidéo sera également associé à la mafia (qui contrôle les jeux d'argent - et les machines à sous - durant tout le XXe siècle). Plus tard, en France, Gaston Defferre assimilera même le jeu vidéo au crime et il sera question de l'interdire sur le territoire.
Selon Alain le Diberder, le jouet est également incontestablement l'un des parents du jeu vidéo. Sans chercher bien loin, le jeu vidéo est un loisir, se veut ludique et s'est longtemps adressé aux plus jeunes... au point de supplanter, parfois, le jouet traditionnel dans le coeur des plus jeunes.
Là encore, l'Histoire justifie cette parenté. Dès la fin du XIXe siècle, l'industrie du jouet se distingue dans l'édition de manuels scolaires, de jeux mécaniques pour enfants (des circuits de voitures par exemple, dès 1905), pour finalement s'agréger à l'industrie du jeu vidéo. Le représentant le plus visible de cette évolution est sans doute Nintendo, société japonaise fondé au XIXe siècle, d'abord spécialisée dans l'édition de carte à jouer avant de se consacrer aux « petits jeux électroniques » puis aux consoles que l'on connaît.
Forte de son ancienneté, l'industrie du jouet disposait de réseaux de distribution très efficaces pour écouler ses produits. Le jeu vidéo en bénéficiera presque naturellement.
Ainsi, tous les ingrédients qui composeraient le jeu vidéo tel qu'on le connaît aujourd'hui étaient en place dès les années 50. Selon Alain le Diberder, il faudra simplement attendre une baisse des coûts (et la démocratisation de la distribution de l'argent de poche aux enfants dans les années 70, après les Trente Glorieuses) pour assister à l'explosion du jeu vidéo auprès du grand public.
Pour autant, le jeu vidéo est encore aujourd'hui paria parmi les « objets culturels » des sociétés occidentales. La musique ou le cinéma sont des unanimement considérés comme des formes d'art. Cette approche est plus difficile à faire accepter pour le jeu vidéo, traînant toujours sa mauvaise réputation. Les limites techniques imposés il y a encore quelques années (obligeant à concevoir des jeux aux graphismes d'abord très abstraits, gagnant seulement ensuite en réalisme, alors même que la peinture par exemple a connu un processus artistique exactement inverse) et les origines du genre peuvent sans doute l'expliquer. Néanmoins, pour Alain le Diberder, les éditeurs eux-mêmes en sont aussi partiellement responsables. Bien que l'age moyen des joueurs frôle aujourd'hui les 30 ans, que l'on compte quasiment autant de joueuses que de joueurs à travers le monde, que ce soit dans les salons (comme l'E3 par exemple), la publicité ou la presse spécialisée, le marketing du jeu vidéo continue obstinément à ne s'adresser qu'aux seuls adolescents mâles... Sans doute faudra-t-il que le secteur mûrisse (peut-être à l'image du marché japonais où les développeurs sont connus et reconnus comme de véritables créateurs et artistes, par exemple) pour se détacher de cette image infantilisante.
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