Quand la politique réelle s'empare des MMORPG
Et pour appuyer juridiquement son action, on pourra souligner que le VGVN considère les jeux vidéo, non pas comme des « logiciels de loisirs », mais comme un « média de loisirs ». Aux Etats-Unis, la distinction est d'importance puisque les médias bénéficient traditionnellement de la protection du premier amendement de la Constitution américaine, garantissant la libre expression. D'après le VGVN, le premier amendement doit s'appliquer au contenu des jeux au même titre que pour le cinéma ou la musique. C'est notamment dans ce contexte qu'un communiqué du VGVN daté du 27 avril 2006 appelait à la mobilisation de façon tout à fait symptomatique contre une proposition de loi visant à réguler les jeux en Oklahoma (appelant donc à les joueurs de l'Etat à la mobilisation) : « le principal effet d'une législation régulant les jeux serait l'étouffement de la créativité, pourtant protégée constitutionnellement, dans le cadre d'un média à la pointe de l'innovation. C'est pourquoi nous avons besoin de votre aide. Même si vous ne résidez pas dans l'Oklahoma, vous pouvez y connaître quelqu'un. Merci de transmettre cette invitation à la mobilisation dans votre famille, au sein de votre clan, de votre MMORPG, forum de discussion ». Il n'est sans doute pas anodin de voir les MMORPG cités comme relais de communication, support de lobby ou vecteur militant.
Quand la réalité s'empare des mondes virtuels
Si Internet est un mode d'expression propice au militantisme qui s'exprime largement au sein des communautés d'utilisateurs de mondes virtuels, le succès populaire des MMORPG encourage également la « politique de la réalité » à s'immiscer dans ce qui n'était initialement qu'un jeu.
L'exemple le plus courant est sans doute lié à la régulation des jeux déconseillés aux joueurs les plus jeunes. Sous l'impulsion de l'Interactive Software Federation of Europe (ISFE), les pays européens classent les jeux selon leur contenu et par âge de joueurs (déconseillés au moins de trois, sept, 12, 16 ou 18 ans). De même, compte tenu de son histoire, l'Allemagne interdit toutes références au régime nazi, notamment dans les jeux vidéo. C'est la raison pour laquelle des jeux se déroulant durant la Seconde guerre mondiale distribués à travers le monde ne le sont pas outre Rhin (ou sous couvert d'adaptations : les soldats nazis de Wolfenstein 3D, FPS sorti en décembre 2001, par exemple se sont mués gardes de la « Secte des Loups » dans la version allemande du jeu, tout comme de nombreux éléments de décors faisant référence au régime nazi, incluant croix gammées et autres portraits d'Adolphe Hitler). Plus récemment, à l'heure où l'homicide est la première cause de mortalité des 10-24 ans aux Etats-Unis (à hauteur de 20% des décès enregistrés), depuis fin 2005, plusieurs Etats américains ont adopté le « Family Entertainment Protection Act » (FEPA) visant à interdire sous peines de sanctions pénales, la vente de « jeux vidéo au contenu inapproprié, c'est-à-dire violent ou sexuellement explicite » aux mineurs. Les enjeux sinon politiques, au moins socioculturels véhiculés par les jeux vidéo ont donc conduit les pouvoirs publics à légiférer afin d'organiser leur commercialisation auprès du public et de réglementer leur contenu au regard de valeurs ancrées localement et dans le contexte d'une époque.
Cette décision politique a néanmoins entraîné des réactions tout aussi politiques puisque le Video Game Voters Network, le lobby des joueurs de jeux vidéo aux Etats-Unis, a encouragé ses partisans à militer contre ces textes, contestant notamment que les médias de loisir fassent l'objet d'une régulation spécifique et distincte de celles des autres médias, comme le cinéma, la musique ou la littérature.
La qualification de médias de loisir (et non logiciels de loisir) retenue par le VGVN pour désigner les jeux vidéo semble d'autant plus vraie dans le cadre des MMORPG, s'adressant à des milliers, voire des millions d'utilisateurs réunis au sein d'un univers commun.
L'église méthodiste, très influente aux Etats-Unis, semble l'avoir compris et a fait des univers virtuels un outil de prosélytisme à destination des internautes. En mai 2004 (voir les actualités Yahoo) à Londres, elle annonçait en effet le lancement de « Church of Fools, la première église virtuelle ». Cet univers persistant permet aux fidèles représentés par des avatars en 3D (selon le créateur, entre 5 000 et 10 000 croyants s'y connectent quotidiennement), de « prier, communier, écouter des sermons ensemble via Internet », voire même de « lancer des alléluias, sonner la cloche de l'église » ou utiliser un distributeur d'eau bénite virtuelle. L'utilisation de l'univers virtuel pour délivrer un message spirituel, véhiculer des valeurs, voire une idéologie est manifeste et revendiquée par Stephen Goddard, à l'origine du projet. Même si ce monde virtuel sert aussi de support mercantile en permettant aux internautes de faire des dons en ligne à l'église méthodiste, au même titre que les premiers prêcheurs allant porter la parole sainte aux païens, Church of Fools vise officiellement à « évangéliser de nouveaux territoires ». Et la dimension idéologique du projet est également perçue a contrario, par certains internautes « satanistes » tentant de perturber les prêches virtuels à coups de blasphèmes (la presse spécialisée s'est notamment faite l'écho d'internautes lançant « Satan vous aime » dans ce lieu de spiritualité virtuelle).
Si la religion peut utiliser les univers virtuels à des fins idéologiques et prosélytes, ces derniers peuvent aussi être l'occasion d'un certain militantisme. Le monde virtuel Second Life (réunissant quelque 250 000 résidents), dont le principal objet est de générer une « vie virtuelle parallèle à la réalité » et dont le contenu est intégralement créé par les utilisateurs, est régulièrement le théâtre de manifestations engagées et accueille même des organisations gouvernementales sur son sol (virtuel). Par exemple, le groupe U2inSL se voulant une réplique fidèle du groupe de rock irlandais U2 (dont on connaît l'engagement politique et humanitaire en faveur de l'annulation de la dette des pays du tiers-monde ou la lutte contre le SIDA en Afrique) organise régulièrement des « concerts caritatifs virtuels ». En avril 2006, ils ont « chanté » (en play-back sur une retransmission audio d'un véritable concert de U2, tout en assurant l'animation synchronisée des avatars sur la musique) devant un public de plusieurs centaines de résidents afin de collecter des fonds pour les campagnes caritatives réelles menées par U2.
Et plus récemment, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), une agence gouvernementale américaine spécialisée dans l'étude des océans et des climats et le Earth System Research Laboratory (ESRL) se sont implantés sur l'île virtuelle Meteroa de Second Life (achetée avec de véritables dollars américains) afin de partager leurs travaux de recherches en matière d'écologie avec les résidents du monde virtuel. On y trouve d'ores et déjà « des démonstrations interactives et éducatives » sur la formation des tsunamis[17] ou des tornades, les mouvements de glaciers, des récits d'explorations ou encore des cartes en temps réel de températures. Au-delà du souhait de bénéficier des outils de développement de Second Life (qui intègre un programme éducatif complet, à base de modélisations et d'animations en 3D), les agences gouvernementales visent aussi une sensibilisation des utilisateurs aux problématiques écologiques réelles.
Même si les résidents de Second Life ont salué l'initiative mêlant l'éducation aux nouveaux outils ludiques et que la NOAA a la réputation de communiquer régulièrement à l'aide des nouveaux médias (blog, podcast, webcasts et maintenant Second Life), la simple intrusion de la « bureaucratie fédérale du gouvernement [américain] dans le l'univers virtuel » et « l'utilisation de l'expérience communautaire comme vecteur médiatique » font débat chez les utilisateurs (cherchant notamment à savoir si cette expérience est financée par des fonds gouvernementaux par exemple).
Et en période électorale, la « politique politicienne » s'inspire de ces initiatives éducatives. Dès 2004, Second Life avait été le théâtre de débats entre partisans des différents candidats aux élections présidentielles américaines (Bush et Kerry, notamment). En prévision des prochaines échéances électorales, les hommes politiques en personne font maintenant le déplacement dans le monde virtuel. Mark Warner, ancien gouverneur de l'Etat de Virginie, a notamment prononcé un discours dans Second Life avant de répondre aux questions résidents présents dans l'assistance. On peut se demander si le discours sera décompté du temps de parole du candidat, dans les médias...
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