La LitRPG arrive en France : on a lu Dungeon Crawler Carl et Primal Hunter
La LitRPG, la littérature qui reprend les codes du RPG, connait déjà un solide succès aux Etats-Unis. Le genre débarque en France aux éditions Lorestone avec Dungeon Crawler Carl et Primal Hunter. On a lu les premiers tomes des deux sagas.
Quel point commun réunit la littérature, le jeu vidéo et les jeux de rôle ? Peut-être un même goût pour l’imaginaire et une capacité à embarquer joueurs et lecteurs dans d’autres mondes. C’est sur la base de ce constat qu’émerge depuis quelques années la « LitRPG », comme littérature et RPG (jeu de rôle). Le genre est déjà bien codifié : de vrais romans qui développent un récit linéaire (pas comme les « livres dont vous êtes le héros ») et qui imaginent de nouveaux mondes (à l'inverse des romans à licence qui exploitent les mondes officiels d’univers célèbres), mais qui empruntent certains de leurs codes aux RPG : le héros de LitRPG a donc souvent une classe de personnages et des statistiques qui définissent ses capacités, il gagne des niveaux et débloque des compétences pour faire face aux défis que le romancier (forcément un brin retors) dresse sur son chemin.
Le genre connait aujourd’hui une popularité croissante outre-Atlantique et la LitRPG s’apprête maintenant à conquérir le Vieux continent, incluant la France. Le groupe Editis vient de créer un nouveau label, Lorestone, qui a vocation à publier des romans de LitRPG en français – en commençant par les traductions de quelques références américaines du genre.
Ce 7 novembre, l’éditeur français publie les versions traduites en français du premier tome de Dungeon Crawler Carl de Matt Dinniman, et celui de Primal Hunter de Zogarth – les tomes suivants ont vocation à débarquer en librairie progressivement, à raison d’un nouvel opus chaque mois et Lorestone annonce déjà une nouvelle série pour début 2025, System Universe de SunriseCV. Nous avons pu lire les versions francophones des deux premiers ouvrages de l’éditeur.
Dungeon Crawler Carl, ou de la LitRPG savoureuse et déjantée
À ce stade, on doit avouer qu’on abordait le genre avec un brin de circonspection – sans doute un peu traumatisé par les romans reposant sur des licences de jeux de rôle ou de jeux vidéo. On doit néanmoins admettre qu’à la lecture de Dungeon Crawler Carl, on a été détrompé assez rapidement.
De prime abord, le décor correspond à ce qu’on peut attendre du genre. Une nuit d’hiver presque comme les autres, toutes les constructions de la surface de la Terre sont « aplaties » et l’essentiel de la population mondiale est écrasée dans l’opération. Bigre ! On découvrira rapidement que toutes les ressources de la planète ont été utilisées pour façonner un gigantesque donjon souterrain, avec ses couloirs obscurs, ses trésors à piller, ses mobs et ses bosses – un univers de jeu vidéo qui n’est pas sans rappeler celui des Diablo. Les survivants de l’humanité sont invités à s’aventurer dans le Donjon, ils seront alors dotés de statistiques correspondant à leurs capacités, et devront lutter pour y survivre en espérant atteindre le 18e et dernier niveau.
Parmi eux, Carl, le héros du roman de Matt Dinniman : il vient de se faire larguer par sa copine, porte son plus beau caleçon quand il entre dans le donjon... et est surtout accompagné de Princesse Donut, le chat de concours qu’il devait rendre à son ex-petite-amie. Le Donjon étant ce qu’il est (c’est-à-dire un environnement régi par des règles de jeux vidéo), Princesse Donut est considérée comme une « Crawler » à part entière, une participante du jeu. Grâce à un imposant buff d’intelligence en début de partie, la voilà dotée de la parole et comme la bestiole affiche un solide pédigrée, de nombreux titres de concours et des stats impressionnantes (une Dextérité et un Charisme de compétition propre à la plupart des chats, couplés à son Intelligence buffée), elle est propulsée cheffe de groupe ! On imagine aisément les relations qui s’installent entre Carl et Donut : Carl sera son garde du corps et Donut assume pleinement ses privilèges royaux – et en même temps, quiconque a déjà cohabité avec un chat sait que les félins nous tolèrent à peine, tant qu’on les sert fidèlement.
Tout en exploitant astucieusement les codes du jeu vidéo, Dungeon Crawler Carl se révèle très drôle et souvent juste. Les personnages sont attachants (Carl et Donut se supportent difficilement mais évidemment, ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre) et Matt Dinniman imagine un récit particulièrement prenant. Car au gré de l’exploration du donjon, l’auteur introduit différents niveaux de lecture et enrichit sa trame narrative : le PvE est une chose, mais comment aborde-t-on les enjeux moraux du PvP « dans la réalité » ? Et les monstres de pixels qu’on estourbit à la chaine sur écran n’ont-ils pas aussi des sentiments, voire des états d’âme, une fois transposés dans le donjon ? Et puis les dés du donjon ne seraient-ils pas un peu pipés par du pay-to-win, dès lors que les prestations des Crawlers sont suivies via une sorte de Twitch intergalactique et que les viewers peuvent soutenir leurs candidats favoris (il convient donc de progresser dans le donjon avec style et de participer à des shows dans lesquels la répartie de Donut fait merveille) ? Et surtout, qui se cache derrière la création du Donjon et pour quelle raison est-il apparu subitement sur Terre ?
Autant de questions qui font de Dungeon Crawler Carl un page-turner assez redoutable, plus profond qu'on ne l'imagine de prime abord et savoureusement déjanté – le livre a été écrit en pleine période de pandémie et de confinement, et Matt Dinniman ne s'est fixé aucune limite en termes de défouloir. Ce premier volume dévoile progressivement un monde de plus en plus vaste, et la saga promet des développements à venir intrigants – en anglais, elle compte déjà sept volumes.
Primal Hunter, une LitRPG plus sérieuse
Seconde série à inaugurer le label Lorestone en France, Primal Hunter du romancier Zogarth, laisse un sentiment un peu plus mitigé. La trame de départ est relativement similaire à celle de Dungeon Crawler Carl. Tout commence « un lundi comme les autres » jusqu’à ce que la Terre devienne subitement le 93e monde d’un énigmatique Multivers. Pour se préparer à cette évolution, quelques centaines d’humains sont conduits dans un Tutoriel – à mi-chemin entre le jeu de Battle Royal et le serveur de MMORPG.
Parmi eux, Jake et ses collègues de bureau. Rapidement, une interface leur demande de choisir une classe de personnage (différents profils de guerriers, mages, soigneurs ou d’archers), ils recevront un peu d’équipement, des compétences martiales ou magiques et seront projetés dans une vaste forêt peuplée de créatures fantastiques. Il faudra y survivre pendant 63 jours. Au gré de leur progression, les participants obtiendront des objets magiques, débloqueront des spécialisations de classe et des professions d’artisanat... Pour gagner des niveaux, il faudra tuer des monstres, mais tuer les autres participants se révèlent bien plus « rémunérateur ». Assez vite, les participants prendront conscience que former des groupes peut faciliter leur survie, les clans se formeront et deux grandes factions antagonistes émergeront dans le Tutoriel...
Jake est néanmoins un cas un peu à part : dans sa « vie d’avant », il a fait du tir à l’arc et a développé un solide instinct de chasseur solitaire. La vie en tant qu’Archer dans le Tutoriel se révèle donc bien plus exaltante que son ancien travail de bureau. Et au goût de ses anciens collègues, il prend manifestement un peu trop de plaisir à cette nouvelle vie. Le postulat posé par l’auteur s’annonce prometteur.
Selon l’éditeur, Primal Hunter s’inspire des codes du Shōnen (ces mangas destinés à un public masculin), un récit qui repose principalement sur le gain de puissance des différents héros, en attendant leur confrontation finale. Et c’est effectivement le cœur du roman : la trame est prenante et la montée en puissance bien menée. Les hésitations des premiers pas « dans le jeu » font place aux premiers succès ; l’arsenal des personnages se développe et les combat se font plus stratégiques ; les compétences d’abord rudimentaires sont progressivement remplacées par des capacités de plus en plus destructrices... D’abord simple Archer, Jake deviendra aussi Alchimiste (une profession apprise de haute lutte lui permettant de concocter les poisons les plus redoutables), pour finalement accéder à de grands pouvoirs dans le Multivers.
Le parti pris de l’auteur a néanmoins son revers. Les personnages se définissent essentiellement par leur fiche de personnages, leurs statistiques et niveaux, la rentabilité des monstres ou des recettes d’artisanats en termes d’xp, leurs choix de compétences, d’équipement ou leurs calculs de bonus de stat... On aurait parfois apprécié un peu plus de profondeur dans l’écriture des héros, malgré quelques flashbacks sur leur « vie d’avant ». Jake est un héros solitaire, ayant peu d'interactions avec les autres personnages et qui passe beaucoup de temps à la chasse ou enfermé dans des donjons. Et les autres personnages qui se dessinent au gré du récit se révèlent tantôt cyniques et manipulateurs, tantôt psychopathes obnubilés par leurs niveaux – à l’exception notable de la révélation (l’élévation ?) de l’un des personnages à la toute fin de l’ouvrage, dont l’empathie est finalement récompensée. Certes, le grind et les beaux matchs PvP font partie des moments notables de la vie d’un joueur en ligne, mais transposés dans un contexte qui se veut « réel », les motivations des héros et leur jubilation à éliminer les autres participants (potentiellement d’anciens voisins ou collègues) peuvent interroger, d’autant que le romancier aborde son récit très au premier degré.
Zogarth attache manifestement plus d’importance au build de ses personnages qu’à leur psychologie, et le roman de LitRPG se révèle plus « RPG » que « Lit ». C’est le choix de l’auteur et dès lors qu’on l’accepte, Primal Hunter se révèle efficace. On se laisse alors volontiers embarquer dans le leveling de Jake, ses traques de monstres, ses explorations de sombres donjons, ses affrontements face à des bosses d’envergure – mais aussi une forme d’introspection sur ses propres capacités qui le conduiront à en apprendre davantage sur les arcanes du Multivers. Autant d’épreuves pour se démarquer, voire se faire remarquer par les (sombres) divinités qui chapeautent manifestement la création des Tutoriels. Ici aussi, l'univers de Primal Hunter s'annonce vaste et suffisamment riche pour alimenter une saga ayant vocation à se poursuivre – avec la promesse de nouveaux pouvoirs et de confrontations de grande ampleur à l’avenir.
***
Avec Dungeon Crawler Carl et Primal Hunter, la LitRPG arrive en France et malgré leur label commun, les deux séries sont suffisamment différentes pour séduire des profils divers de lecteurs – l’une est décalée et plus subtile qu’il n’y parait, l’autre plus sombre et se prenant davantage au sérieux. Et le label Lorestone n’entend pas en rester là : les tomes suivants des deux sagas doivent être publiés en France progressivement (à raison d'environ un volume par mois), et début 2025, une troisième série de LitRPG doit débarquer en français avec System Universe. Les ouvrages sont disponibles en version papier grand format, en ebook et sous forme de livre audio. Avis aux amateurs d'univers vidéoludiques – mais pas seulement. Le détail des premiers ouvrages de Lorestone est disponible sur le site de l'éditeur.
Dungeon Crawler Carl de Matt Dinniman Traduit de l'anglais par Chloé Atangana Nombre de pages : 512 Format : 130 x 190 mm Date de parution : 7/11/2024 Prix : 13.90 € (broché), 9.99 € (ebook) |
Primal Hunter de Zogarth Traduit de l'anglais par Astrid Vallet Nombre de pages : 736 Format : 130 x 190 mm Date de parution : 07/11/2024 Prix : 17.90 € (broché), 9.99 € (ebook), 38.99 € (audio) |
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