L'édito des MMO : le « MMO mobile », une véritable expérience de MMORPG ?
Deux MMO mobiles ont été (re)lancés au cours de ce mois de juillet : le très récent V4 et l’antédiluvien Kingdom of the Winds: Yeon. Le premier laisse un sentiment mitigé, le second est téléchargé massivement. Qu'en déduire quant à la place du MMO sur plateformes mobiles ?
Pour l’industrie du jeu (comme pour nombre d’autres secteurs), l’été est traditionnellement ponctué par les conventions, conférences et autres salons vidéo-ludiques. Evidemment, dans le contexte sanitaire actuel, la plupart de ces manifestations ont été annulées et remplacées par des événements en ligne, plus ou moins pertinents et résolument focalisés sur les jeux – notamment pour présenter les jeux à venir sur la prochaine génération de consoles. L’industrie du MMO est soumise à ces mêmes contraintes sanitaires et l’actualité du secteur passe donc également par les jeux.
Et au cours de ce mois de juillet 2020, la scène du jeu massivement multijoueur a ainsi été marquée par le lancement de quelques MMO mobiles. Deux titres (estampillés « Nexon ») retiennent plus spécifiquement l’attention : d’abord le Project V4 lancé en Occident et ensuite The Kingdom of the Winds: Yeon sorti en Corée du Sud.
Succès économique, mais pas toujours critique
On le sait, le MMO mobile suscite des sentiments mitigés chez les joueurs. Si on observe les comptes trimestriels des principaux acteurs du jeu en ligne (principalement asiatiques), on constate que ces MMO mobiles rencontrent un succès économique pour le moins colossal – en Corée, les studios mobiles tiennent le haut du pavé et même les développeurs historiquement positionnés sur le jeu PC voient une croissance significative de leurs activités mobiles (chez NCsoft par exemple, le MMO mobile pèse aujourd’hui près de cinq fois plus que le MMO sur PC et la tendance est la même chez Pearl Abyss où le MMO mobile pèse maintenant davantage que le MMO PC et consoles réunis). Mais à l’inverse, à lire les joueurs sur les réseaux sociaux, les MMO mobiles peineraient à tenir la comparaison avec leurs homologues sur PC et mériteraient parfois à peine le qualificatif de jeu.
Et dans certains cas, ce n’est sans doute pas tout à fait faux, notamment en Corée du Sud. Les mécaniques « d’auto play » sont encore la norme (le joueur peut passer davantage de temps à regarder son personnage progresser qu’à jouer réellement), le grind tient lieu de gameplay et on passe sur les mécaniques de jeu davantage pensées pour pousser le joueur vers une boutique d’objets que pour développer une réelle approche ludique.
Ce mois-ci, c’est un peu le sentiment que suscite (les premiers niveaux de) la version occidentale du Project V4. Et la frustration est grande dans la mesure où le MMORPG est distribué à la fois sur plateformes mobiles et sur PC, laissant augurer dans un premier temps un projet un brin plus riche et étoffé que certains autres titres estampillés « 100% mobile ».
Des plateformes mobiles incompatibles avec le MMO ?
Faut-il en déduire pour autant que les plateformes mobiles sont irrémédiablement incompatibles avec le MMO ? Peut-être pas. D’abord parce que le gameplay de ces MMO mobiles fait écho à la culture ludiques de Corée du Sud : longtemps, les joueurs sud-coréens ont certes joué sur PC (avec des jeux conçus pour être distribués sur PC), mais principalement dans des PC Bangs, les cybercafés locaux. En d’autres termes, les joueurs avaient pour habitude de jouer à des jeux pré-installés sur le parc de machines des PC Bangs (sans se soucier des barrières technologiques, donc) et les jeux étaient conçus pour être joués dans ces cybercafés – on connait l'anecdote : les MMO devaient être jouables à une main pour que les joueurs de PCBangs aient une seconde main libre pour manger un sandwich ou boire une bière. En Occident, on a assisté peu ou prou au même phénomène, mais avec des consoles de salon basées sur une installation simple de jeux et un gameplay jouable avec des manettes comptant d'abord à peine quelques boutons.
Les consoles n’ont jamais vraiment percé en Asie (à l’exception notable du Japon) et les plateformes mobiles ont pris leur place. Et logiquement, les jeux mobiles suivent les codes traditionnels du jeu local : une grande accessibilité technique et des mécaniques de jeu accessibles permettant de « faire autre chose tout en jouant ». D'où l'auto-play.
Mais tout comme certains MMORPG PC asiatiques se sont démarqués pour la richesse de leur gameplay au sein d’une masse de titres pas toujours très intéressantes, on ne doute pas que des MMO mobiles émergeront aussi en exploitant les capacités spécifiques de la plateforme.
Quid de l'avenir ?
Et on commence déjà à le constate déjà. Si V4 laisse à certains un sentiment d’inachevé (ce MMO d'abord destiné aux mobiles, puis ayant fait l’objet d’un portage sur PC), The Kingdom of the Winds: Yeon suscite, lui, déjà un très solide engouement en Corée – un million de copies téléchargés le jour du lancement le 15 juillet et 2,6 millions de téléchargements quinze jours plus tard. Et ironie de l’histoire, The Kingdom of the Winds: Yeon est l’adaptation mobile de Nexus - The Kingdom of the Winds, traditionnellement considéré comme le premier MMORPG graphique sur PC lancé en Corée en 1996 (signé par Jake Song, qui deviendra le papa d’ArcheAge). En d’autres termes, en Asie aussi, il y a une soif de MMORPG plus riches et plus profonds, même sur plateformes mobiles : c'est Kingdom of the Winds: Yeon qui rafle la mise grâce à son gameplay et ses graphismes en 2D vieux d'un quart de siècle, quand V4 peine à convaincre malgré une esthétique à la pointe des technologies actuelles mais avec un gameplay répétitif.
Et manifestement, les exploitants de jeux l’ont bien compris. En Occident, Warhammer Odyssey est présenté comme un vrai MMORPG mobile en 3D et revendique un vrai gameplay (sans auto-play). À mi-chemin entre l’Asie et l’Occident, NetEase et CCP Games s’apprêtent à lancer EVE Echoes qui doit adapter la richesse du gameplay d’EVE Online mais combinée à l'accessibilité des plateformes mobiles, et manifestement avec un certain succès. Et d’autres studios s’y mettent aussi : le Sud-coréen GameTales annonçait au cours de ce mois de juillet le développement d’un MMORPG hybride, avec des phases de gameplay jouables sur mobile et d’autres sur PC, en fonction des spécificités de chaque plateforme. Et cette approche n'est peut-être pas totalement saugrenue dans la mesure où les plateformes mobiles ont des atouts, par exemple en terme de communication, qui pourraient (ré)insuffler une dimension sociale à des MMO qui en manquent parfois ; ou permettre de jouer entre monde réel et monde virtuel (certains s'y essaient déjà avec plus ou moins de succès).
Peut-être plus notable encore : avec l’arrivée de la prochaine génération de consoles et la démocratisation du cloud gaming, nombre de développeurs de MMO (notamment en Asie) font le pari du multiplateforme en même temps que les consoles commencent à intéresser davantage les joueurs d'Asie : des MMO jouables sur PC, consoles et mobiles, avec des mécaniques adaptées à chaque plateforme. Le mobile est un secteur encore jeune, mais qui évolue vite (avec le développement des appareils, mais aussi des technologies et des connexions emmenées par le cloud gaming et la 5G), et qui pourraient, dans les années à venir, surprendre même les « vrais joueurs ».
À la fois en guide à la fois de conclusion et de clin d’œil, on notera aussi qu’en ce mois de juillet 2020, JeuxOnLine fête son vingtième anniversaire – autant dire une éternité en « temps web ».
Et aux premières heures de JeuxOnLine, des débats similaires faisaient déjà rage, par exemple entre les « vrais » joueurs de jeux de rôle vidéo (de Baldur’s Gate à Ultima Online) qui s’opposaient aux joueurs de hack & slash qui arpentaient alors l’univers du premier Diablo et étaient tout juste bon à cliquer frénétiquement sur leur souris. Qui aujourd’hui considéreraient que les hack & slash ne sont pas de « vrais » jeux ayant leur place dans l’histoire vidéo ludique ? Dans le même registre, les confrontations entre joueurs PC et consoles ont longtemps fait les beaux jours des plateformes communautaires. Qui aujourd’hui estime que les consoles ne peuvent pas accueillir des mécaniques de jeu ayant une vraie profondeur ludique ?
D’ici encore une vingtaine d’années – et ne doutons (presque) pas que JeuxOnLine sera encore là pour accueillir les débats enflammés des joueurs –, les plateformes mobiles pourraient être l’accessoire indispensable de tout « vrais » joueur qui se respecte, quand les joueurs de 2040 ergoteront sur les qualités ludiques de la réalité augmentée, des salles holographiques qui ne manqueront pas d’équiper tous les logements, voire des implants neuronaux qui nous permettront de nous immerger directement à nos univers virtuels préférés.
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