L'édito des MMO : alpha, bêta, accès anticipés et lancements ratés
Phantasy Star Online 2, Last Oasis, Elder Scrolls Online: Greymoor, Crucible... Des jeux aux profils très différents mais dont les sorties ont été plus ou moins réussies ou lancées trop tôt. mais parallèlement, Crowfall prendrait un peu trop son temps. Quid de la solution idéale ?
Les joueurs de MMORPG connaissent l’adage : « patch day, no play ». Les lancements, qu’il s’agisse de la sortie d’un nouveau jeu, d’une extension ou simplement de déployer un patch d’envergure, s’accompagnent bien souvent de son lot de dysfonctionnements et de serveurs encombrés, impliquant le déploiement en urgence de correctifs (plus ou moins efficaces) ou l’ouverture de serveurs supplémentaires plus ou moins stables. D’où l’adage : il n’est pas rare que le jour d’un déploiement, les joueurs passent davantage de temps devant un écran de chargement qu’à jouer réellement.
Et ces dernières semaines ont été l’occasion de le constater de nouveau, à des degrés divers. On pense par exemple à Phantasy Star Online 2 : huit ans après la version japonaise, le MMO-light vient d’être lancé en Occident d’abord sur console, puis sur PC. Malgré son grand âge, le jeu affiche de vraies qualités ludiques et contente manifestement les joueurs, mais le lancement s’est révélé plutôt laborieux pour bon nombre d’entre eux – contraints à des bidouilles techniques pour accéder aux serveurs... Et le développeur montre assez peu d’empressement à appliquer des correctifs.
Même constat quelques semaines plus tôt pour Last Oasis : le jour du lancement (un accès anticipé), les serveurs étaient assez peu praticables, obligeant le studio indépendant Dunkey Crew à les fermer temporairement, à revoir sa copie et ne les rouvrir qu’après quelques jours et moult correctifs.
Plus récemment, le studio ZeniMax (de bien plus grande envergure) a déployé le Chapitre Greymoor d’Elder Scrolls Online. Le lancement outre-Atlantique s’est fait relativement sans encombre. La version européenne s’est révélée un brin plus laborieuse, obligeant là encore le développeur à procéder à des maintenances successives pour que les serveurs soient en mesure d’accueillir les joueurs dans des conditions normales. Quant à Crucible, également lancé ces derniers jours, la sortie a été suivie de patchs correctifs quasi-quotidiens notamment pour régler des problèmes de latence et des ajouts de fonctionnalités majeures (un système de chat dans un jeu coopératif) sont déjà prévus à court terme.
Au-delà de l’inventaire, le constat n’est pas une surprise et les lancements laborieux sont peu ou prou devenus la norme en matière de MMO et de jeux en ligne – qu’il s’agisse d’un ancien jeu pourtant déjà largement éprouvé depuis des années, d’un accès anticipé (par un studio indépendant), d’une extension (par un studio d’envergure) ou encore d'un nouveau jeu (par un studio modeste mais soutenu par un géant du web). Faut-il s’en contenter ? Sans doute pas, mais on fait contre mauvaise fortune, bon cœur – et finalement, les lancements en demi-teinte (voire ratés) font peut-être partie du folklore des MMO.
Et puis dans le même temps (toujours au cours de ce mois de mai), le studio ArtCraft Entertainment a annoncé le lancement de l’alpha de Crowfall. Une alpha qui arrive peut-être tardivement, environ quatre ans après le lancement de la pré-alpha, mais que le développeur explique par la volonté d’y intégrer l’ensemble des fonctionnalités promises lors de l’annonce du projet et de sa campagne de financement participatif.
Ces sorties récentes interrogent évidemment sur les processus de lancement de nombre de jeux en ligne, mais aussi sur les priorités qui les gouvernent : faut-il privilégier une sortie précoce ou une sortie peaufinée qui aurait pris son temps ? Formulé ainsi, empiriquement, on imagine que bon nombre de joueurs seraient enclins à préférer une sortie « propre » quitte à patienter un peu. D’autant qu’un lancement raté condamne bien souvent un jeu en ligne définitivement et rares sont ceux à avoir bénéficié d’une seconde chance après une mauvaise première impression.
Une option qui se nourrit en outre de l’expérience des accès anticipés (lancer un jeu en annonçant ouvertement qu’il n'est pas finalisé, laissant le joueur libre de se montrer impatient ou de patienter), qui laissent aujourd’hui un sentiment mitigé : ils ont objectivement permis à des jeux d’être améliorés, voire de voir le jour, grâce aux remarques et commentaires des joueurs. Mais ils sont aussi à l’origine de dérives de moins en moins acceptées, consistant à faire payer des jeux non finalisés et qui ne le seront jamais.
Pour autant, le (contre) exemple de Crowfall tend néanmoins à montrer que les délais (objectivement longs mais pas saugrenus dans le cadre du développement d’un MMO) sont parfois difficilement acceptés par les joueurs, même quand ce délai supplémentaire vise à mieux répondre aux attentes des joueurs. Aujourd'hui, dans un monde qui va toujours plus vite, s’adressant à un public de plus en plus impatient (parfois jeune et habitué à être « livré » en quelques clics), dans le contexte d’une industrie du jeu vidéo qui propose une offre de plus en plus pléthorique où les retardataires sont bien vite remplacés par d’autres titres plus prompts à se lancer, un jeu qui se serait fait attendre trop longtemps serait de toute façon daté avant même d'avoir été lancé.
Existe-t-il donc une solution idéale (outre le lancement rapide et parfait qu’apparemment, aucun studio n’a réellement trouvé à ce jour, du moins dans le cadre d'un jeu en ligne affichant des fonctionnalités un peu ambitieuses) ? On imagine que peut-être, le salut pourrait venir du « changement d’époque » : en période de pandémie de covid-19, nombre de studios ont adopté des mesures de télétravail et annoncé ouvertement que les cadences de production seront ralenties ou que certaines fonctionnalités seront retardées. Plus globalement (hors pandémie), certains studios vantent leur condition de travail et leur refus du crunch (des cadences accélérées pour tenir les délais).
Manifestement, l’argument semble porter et être plutôt bien accepté par certains joueurs. De plus en plus, aujourd'hui, d'aucuns revendiquent une consommation éthique, qui respecterait certaines valeurs (incluant les conditions de travail). La tendance pourrait peut-être investir aussi le marché du jeu. Pour la plupart, les joueurs ont déjà intégré qu’on ne jouait pas les joueurs de patch (« patch day, no play »), peut-être retiendra-t-on aussi que peaufiner un jeu peut nécessiter quelques concessions.
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