L'édito des MMO : quels effets de la pandémie sur l'industrie du jeu ?
Du fait des mesures de confinement, les ventes de jeux sont aujourd'hui au plus haut. Mais quid des effets de la pandémie à long terme, des délais de développement rallongés, de la raréfaction des investissements ou de la production de la prochaine génération de consoles ?
Il y a seulement quelques semaines, aurait-on seulement imaginé que la moitié de l’humanité puisse rester confinée pendant plus de deux mois – et que des mesures de confinement plus ou moins strictes se poursuivront sans doute encore pendant au moins plusieurs semaines. Le contexte est inédit et à cette heure, il apparait encore bien difficile d’en imaginer toutes les conséquences.
Maintenant, des ventes records
Pour autant et de prime abord, l’industrie du jeu semble manifestement se classer parmi ces rares secteurs à tirer leur épingle du jeu actuellement. Comme quelques autres secteurs du divertissement qui se pratique aisément à domicile, le jeu vidéo profite du confinement : on joue davantage et plus longtemps, et les budgets qui ne sont pas consacrés aux sorties, au cinéma ou aux voyages sont manifestement réorientés vers le jeu – notamment en ligne, puisqu’ils permettent de rester en contact avec ses proches, à distance.
Si on en croit l’analyste SuperData, les dépenses en ligne liées aux jeux auraient ainsi enregistré un niveau record historique en mars dernier (10 milliards de dollars au cours du mois, en progression de 11% par rapport aux 9,1 milliards dépensés au cours du mois de mars 2019). Et certains jeux en profitent plus que d'autres : Animal Crossing : New Horizons revendique des records de ventes (cinq millions de copies dématérialisées vendues aux États-Unis en mars), tout comme Doom Eternal (plus de trois millions de ventes) ou encore Call of Duty Warzone qui dope l’activité de Modern Warfare (le nombre de joueurs aurait progressé de 159% en un mois). Dans le même esprit, Microsoft revendique maintenant 10 millions d’abonnés à son service Xbox Game Pass pour un « niveau d’engagement record » avec presque 90 millions de joueurs actifs sur le Xbox Live.
Peut-être plus curieusement, on constate une progression encore plus accrue pour les jeux en ligne sur plateformes mobiles (qu’on imagine pourtant habituellement plutôt utilisées dans les transports en commun ou en déplacement) : le chiffre d’affaires du jeu mobile progresse de 15% en un an pour atteindre 5,7 milliards de dollars en mars dernier.
Manifestement, les joueurs suivent les directives de l’OMS qui encourage à jouer aux jeux vidéo pour rester chez soi et respecter les mesures de distanciation sociale (après avoir pourtant classé le jeu excessif parmi les pathologies addictives). De même, les studios adhèrent aux recommandations des gouvernements de plusieurs pays européens dans le cadre des programmes « Stay At Home, Save Lives » et #PlayApartTogether – les studios distribuent des jeux à tarifs préférentiels, voire gratuitement pour encourager les joueurs à rester chez eux.
Et dans ce contexte plutôt florissant pour l’industrie du jeu, cette même industrie se mobilise aussi pour aider à financer la lutte contre le Covid-19. Des levées de fonds sont organisées par de nombreux studios et les sommes récoltées atteignent parfois des montants impressionnants : les packs dédiés de Humble Bundle (le Humble Conquer COVID-19 Bundle) ont permis de récolter 6,5 millions de dollars, Twitch a levé 2,77 millions sur sa plateforme, Take-Two a promis de reverser 5% des revenus de ses jeux en ligne à la lutte contre le Covid-19, Bethesda et CD Projekt ont chacun débloqué quasiment un million de dollars, Riot Games contribue à hauteur de 1,5 millions, CCP Games a réactivé sa campagne Plex For Good au profit de l’OMS, Paradox a réuni 500 000 dollars, et on pourrait multiplier les exemples...
Mais quid de l'industrie à long terme ?
Dès lors, tout est bien dans le meilleur des mondes ? La question se pose, car au-delà de l’engouement des joueurs actuellement, l’industrie du jeu n’échappe pas aux contraintes qu’impose la pandémie mondiale.
Comme les autres secteurs, les équipes de développement de nombre de studios doivent poursuivre leurs activités en télétravail, imposant des réorganisations parfois drastiques et des modifications de planning. D’ores et déjà, on ne compte plus les jeux dont la sortie a dû être retardée – à commencer par le MMORPG New World d’Amazon Game Studios repoussé à juillet prochain, et on peut mentionner aussi certaines des dernières mises à jour de Star Wars The Old Republic faute de pouvoir enregistrer le doublage des dialogues. Quand d’autres studios font le choix de maintenir leur agenda, mais en renonçant à distribuer les versions physiques de leur jeu au profit de seules versions dématérialisées ou même au prix du sacrifice de certaines fonctionnalités qui ne seront concrétisées que plus tard.
Et on comprend aisément les enjeux pour ces studios : à l’heure où la production vidéo ludique est déjà pléthorique en temps normal (au point qu’il est parfois difficile pour certains studios de se démarquer), les retards de planning impliquent mécaniquement un engorgement à venir à moyen terme et des ventes plus difficiles. En outre, les perspectives économiques des prochains mois sont loin d’être enthousiasmantes : les géants du secteur sont actuellement enclins à constituer les réserves financières nécessaires pour passer les mauvais jours et les investissements se feront sans doute plus rares. Les studios qui se retrouveront à court de liquidités peineront sans doute à se financer. On comprend aisément l’équation : il faudra tenir plus longtemps avec moins de fonds. Certains studios pourraient en pâtir – et les plus fragiles ont déjà mis la clef sous la porte (c'est le cas par exemple de Rival Games, à l'origine de Thief of Thieves ou Alien: Blackout, faute de trouver les fonds nécessaires à sa survie dans le contexte de pandémie).
Et les mesures de confinements impliquent aussi l’annulation ou le report de nombreux événements prévus au cours des prochains mois (tous les salons estivaux de jeu vidéo, notamment), avec leur cohorte d’annonces et la visibilité qu’ils offrent. Là encore, les studios les plus modestes devront faire sans, quand les plus imposants envisagent déjà de réorganiser leur communication. C’est le cas notamment de Microsoft et Sony, qui prévoyaient d'y présenter leur prochaine génération de consoles, la Xbox Serie X et la PlayStation 5. En lieu et place de l’E3 2020 notamment, ils devraient manifestement étaler leurs annonces tout au long de l’été : les consoles pourraient être présentées en détails dès mai, puis (et c’est sans doute le plus important) les catalogues de jeux suivraient entre juin et septembre.
Faut-il dès lors compter aussi avec un changement de planning dans les dates de lancements des nouvelles consoles ? Les consoliers jurent que non – car les conséquences pourraient être dramatiques pour de nombreux studios, même parmi les plus imposants. Pour autant, la pandémie et le confinement ont drastiquement boosté les ventes de consoles au cours des dernières semaines (+64% entre février et mars derniers). De la perspective des constructeurs de consoles, ce n’est peut-être pas le meilleur moment : ils misaient sans doute plus volontiers sur un renouvellement de machines en fin d’année (même si les acheteurs tardifs d’aujourd’hui ne sont sans doute pas ceux qui investissent dans les derniers modèles de consoles dès leur lancement, on imagine que ces acheteurs ne réinvestiront pas dans une console avant un moment et c’est autant de ventes en moins pour la prochaine génération de consoles). Qu’il faille y voir un lien ou non, Sony évoque déjà la vente d’un petit volume de PS5 pour son lancement – que ce soit du fait de son prix élevé ou de la rareté de certains de ses composants.
On le sait, le marché du jeu vidéo est très cyclique et le moindre grain de sable peut avoir des conséquences parfois inattendues. Le secteur est actuellement en fin de cycle, et nombreux sont les acteurs à attendre avec impatience que la machine se relance, de sorte que la tendance reparte à la hausse (les développeurs qui attendent de nouvelles plateformes, mais aussi l’ensemble de l’écosystème vidéo ludique). Il faudra peut-être attendre plus longtemps que prévu et l’engouement actuel que connait l’industrie du jeu vidéo pourrait, à long terme, ne pas être aussi faste qu’on l’imagine.
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