L'e-sport aux JO : quid du sous-texte du CIO sur les « killer games » ?
Que faut-il comprendre quand le CIO considère les « killer games » incompatibles avec l'esprit olympique et distingue e-games et e-sports ? Peut-être sa préférence pour une intégration des jeux de sport (plutôt que de l'e-sport) aux Jeux Olympiques.
Voici quelques jours, Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), était interrogé sur la place de l'e-sport dans les instances de sports traditionnels et plus précisément sur l'opportunité de faire de l'e-sport une discipline à part entière des Jeux Olympiques. La réponse du président était sans appel : « les "killer games" sont incompatibles avec les valeurs olympiques ».
En d'autres termes, les jeux reposant sur un affrontement « physique » symbolique de personnages (les shooters, MOBA, et autres RTS, c'est-à-dire les fers de lance du jeu compétitif aujourd'hui) n'ont pas leur place aux Jeux Olympiques. Les propos ont été abondamment commentés et suscitent des interrogations, d'abord parce que les derniers développement sur le sujet laissaient penser qu'un rapprochement entre sport traditionnel et sport électronique était en bonne voie et ensuite parce que le propos semble un brin fallacieux -- nombre de disciplines olympiques reposent précisément sur l'affrontement très concrets des compétiteurs (du judo à la boxe en passant par le tir à l'arc ou le biathlon, entre autres) et trouvent leurs origines dans des techniques ou méthodes de combats utilisées initialement pour éliminer des adversaires. Ce à quoi Thomas Bach répondait que ces disciplines sportives incarnent une « forme civilisée » des affrontements meurtriers qui les ont inspirés -- par opposition donc avec les « killer games » qui ne relèveraient donc pas du même degré de « civilisation ».
Et d'enfoncer le clou en évoquant que « les e-games dont le but est de tuer ne sont pas compatibles avec les valeurs olympiques ».
Une méconnaissance du secteur ?
Faut-il y voir les propos d'une instance connaissant mal le milieu du jeu vidéo ? C'est très possible, notamment au regard de la sémantique utilisée : les termes « killer games » et « e-games » notamment ne sont pas utilisés par les acteurs du secteur de l'e-sport et pourraient être le reflet d'une méconnaissance du monde du jeu vidéo compétitif -- c'est notamment ce que souligne Stéphan Euthine, président de l'association France e-Sport qui répondait au Monde et estimait qu'il y a encore « un travail de pédagogie à faire ».
L'actualité récente le démontre tristement : le 26 août dernier (quelques jours avant l'interview de Thomas Bach), lors d'un tournoi e-sport à Jacksonville en Floride, l'un des participants à la compétition ouvrait le feu sur ses compétiteurs, faisant deux morts et onze blessés. Or il s'agissait d'un tournoi de Madde NFL, un jeu de football américain n'ayant rien d'un « killer game ». Et inversement, nombre de jeux reposant sur l'élimination de ses adversaires in-game confrontent les joueurs à une violence toute symbolique (l'univers stylisé et coloré du shooter Overwatch, par exemple, évoque une violence à peine perceptible et le jeu est tout juste déconseillé aux joueurs de moins de douze ans).
La corrélation entre la violence des joueurs et celle perceptible à l'écran est loin d'être établie. Reste à déterminer si Thomas Bach et les membres du CIO en ont conscience.
Ou une stratégie économique ?
À moins que ces (nouveaux) termes « killer games » et « e-games » aient été employés à dessein par le président du CIO. Car utiliser le terme de « e-games », en lieu et place de « e-sport », permet précisément d'imposer un distinguo entre d'une part les « jeux vidéo » compétitifs au sens large (qui n'auraient donc pas leur place parmi les disciplines olympiques) et d'autre part les « simulations sportives » vidéo ludiques à l'image de la série des FIFA, NBA ou donc des Madden NFL, qui elles seraient davantage acceptables au sein des Jeux Olympiques. Exclure les « killer games » permet de facto de réorienter la thématique de l'e-sport vers les « jeux de sports » (les simulations sportives) qui entrent plus naturellement dans les sphères d'influence des instances des sports traditionnels. A fortiori parce que les « simulations sportives » sur écran entretiennent déjà des liens étroits avec le monde (économique) du sport traditionnel, dont elles exploitent les licences -- les jeux de sport intègrent déjà de vrais noms de joueurs, d'équipes ou de ligues, les jeux de courses exploitent de vrais noms de marques et modèles automobiles, il existe aussi des jeux exploitant les licences des Jeux Olympiques. Et le phénomène pourrait s'étoffer encore davantage à l'avenir, à l'heure où les clubs sportifs commencent à proposer de formations doubles, alliant des cursus communs des sports traditionnels et de sport électroniques. Sports traditionnels et simulations sportives, même combat.
À l'heure où le public du sport traditionnel est vieillissant (en moyenne les spectateurs de sport et des chaines de télévision sportives ont plus de 50 ans) et où les instances du sport cherchent à rajeunir leur audience, « l'e-sport » apparait évidemment comme un puissant levier de croissance et un moyen attractif de toucher un nouveau public. Mais manifestement, le CIO entend miser sur un segment du sport électronique qu'il contrôle déjà au moins partiellement (les simulations sportives), sans forcément s'aventurer sur des terrains qui lui sont davantage étranger et dont les acteurs organisent déjà leurs propres tournois, voire leurs propres ligues, avec des moyens parfois conséquents.
Loin d'une simple méconnaissance du secteur, les propos de Thomas Bach pourraient être au contraire le signe d'une forme d'OPA que tenterait mener le sport traditionnel sur les simulations de sport électronique et leurs compétitions. Reste à déterminer si les joueurs eux-mêmes adhéreront à cette vision tronquée de l'e-sport dans la mesure où aujourd'hui, les sports électroniques les plus populaires et les plus dynamiques sur un plan « sportif » sont précisément articulés autour des « killer games » qui semblent rebuter les acteurs du sport traditionnels.
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