Vers le Major de Manille : portrait de groupe
A moins de trois semaines du Major, une présentation globale des joueurs concernés permet de montrer le renouvellement à l'oeuvre dans les compétiteurs de haut niveau.
Le temps de la présentation individuelle des équipes du Major de Manille viendra à son heure. Ce premier article consacré à ces équipes préfère les envisager dans leur globalité, afin de cerner des dynamiques générales, en particulier celle du renouvellement du groupe de joueurs de haut niveau présents dans les plus importantes compétitions Dota 2.
Les données de cet article ont été compilées à la main à partir de Liquipedia. D'éventuelles erreurs peuvent s'y nicher, provenant soit d'une lecture inexacte, soit des calculs réalisés. N'hésitez pas en ce cas à les signaler.
Sont considérés ici uniquement les huit tournois de classe Major+, à savoir les cinq Internationaux tenus chaque année en été depuis 2011, les deux Majors joués cette saison (Francfort et Shanghai) et le DAC joué début 2015 qui était un test grandeur nature pour les Majors. Il s'agit des huit gros tournois dirigés et financés par les exploitants du jeu, dont le prix a dépassé le million de dollars.
Des vétérans minoritaires
Quatre-vingt joueurs seront présents à Manille en juin, comme dans chaque tournoi Major+ à l'exception du DAC (qui mettait en lice exceptionnellement 20 équipes, soit 100 joueurs).
Parmi eux, il faut constater que plus de la moitié (46 joueurs, soit 57,5 % du total) ont disputé leur premier tournoi de ce niveau en 2015-2016. Neuf sont entrés dans le circuit à l'occasion du DAC, sept pour The International 2015, cinq lors du Major de Francfort, neuf pour celui de Shanghai. Seize joueurs du Major de Manille n'ont pas encore participé à une compétition de ce niveau.
Lecture : dix joueurs du Major de Manille ont participé à deux tournois de même niveau auparavant.
Seuls 29 joueurs (soit 36,25 % du total) ont participé à la moitié ou plus des tournois Majors+. Parmi eux, cinq ont disputé l'ensemble des huit tournois de ce niveau : Misery (DC), Puppey (Secret), MMY (LGD), Hao (Newbee) et DDC (VG.R). Un autre joueur a tout joué pour l'instant, LaNm (EHOME), mais il ne jouera pas le Major de Manille puisque son équipe n'y est pas qualifiée - c'en est donc terminé pour lui.
Kuroky (Liquid), xiao8 (LGD) et Dendi (Na`Vi), présents pour leur part, sont des vétérans des Internationaux, puisqu'ils ont joué les cinq disputés jusque-là. Dix joueurs du Major de Manille sont actifs à ce niveau depuis The International 2011, sept depuis The International 2012. Cela laisse tout de même plus d'un cinquième des joueurs qui évoluent dans les compétitions Majors+ depuis le début ou presque.
Les anciens sont largement minoritaires dans ce Major de Manille : une nouvelle génération remplace progressivement l'ancienne.
Les équipes, les vétérans et les nouveaux venus
Certaines équipes représentent plus que d'autres ce changement de générations. Si l'on prend en compte le taux de présence des cinq joueurs lors des huit tournois Majors+ joués pour le moment, on constate de grandes disparités.
Ce taux de présence est calculé en cumulant le nombre de participations à des tournois Majors+ atteint par les joueurs des équipes, puis en le divisant par 40 (huit tournois possibles fois cinq joueurs).
Lecture : les joueurs actuels de Liquid ont été présents à 40 % dans les tournois Majors+ précédents (les joueurs cumulent 16 places dans ces tournois, sur 40 possibles).
Cinq équipes dépassent les 50 % de présence. Chez Secret, les joueurs ont en moyenne participé à 5,6 tournois de la catégorie étudiée (allant de 8 pour Puppey à « seulement » trois pour pieliedie). Dans ces cinq équipes, une seule intègre pour Manille un « petit jeune » qui n'a pas participé à un tournoi Major+ (il s'agit de September chez LGD).
A l'opposé, trois équipes ont un taux de présence inférieur à 10 % : Mineski (un joueur au DAC, deux autres au Major de Francfort), Empire (deux joueurs au Major de Shanghai) et Wings (un joueur au DAC). Dans ces trois équipes, aucun joueur n'a joué un Major+ avant 2015. Complexity et MVP Phoenix sont aussi dans ce dernier cas. Autrement dit, dans cinq équipes sur seize, aucun joueur n'avait accédé à une compétition Major+ avant 2015.
Equipes | Nombre de participations des joueurs actuels aux Internationaux de 2011 à 2014 | Nombre de joueurs actuels ayant disputé au moins un International de 2011 à 2014 | Nombre de joueurs actuels ayant remporté un International de 2011 à 2015 |
Secret | 10 | 5 | 2 |
NewBee | 10 | 3 | 3 |
Alliance | 12 | 5 | 5 |
EG | 8 | 4 | 4 |
LGD | 8 | 2 | 1 |
OG | 4 | 2 | 0 |
Fnatic | 5 | 2 | 0 |
Liquid | 6 | 2 | 0 |
VG.R | 5 | 2 | 0 |
DC | 5 | 2 | 0 |
MVP Ph | 0 | 0 | 0 |
Na`Vi | 6 | 2 | 2 |
coL | 0 | 0 | 0 |
Mineski | 0 | 0 | 0 |
Empire | 0 | 0 | 0 |
Wings | 0 | 0 | 0 |
Les vétérans des Internationaux 1 à 4 se concentrent avant tout chez Alliance, Secret, NewBee et EG : plus de la moitié de leurs joueurs sont concernés. Sans surprise, ces équipes regroupent le plus grand nombre de vainqueurs d'un International, jusqu'à cinq pour Alliance qui joue cette saison avec la même composition qu'à TI3.
Notons que dix-sept vainqueurs d'un International seront présents à Manille, sur vingt-cinq lauréats (personne n'ayant encore remporté deux Internationaux) : les huit autres ont quitté le circuit compétitif de haut niveau, temporairement ou définitivement. Une seule équipe à faible taux de présence dans les Majors+ compte en son sein des vainqueurs d'un International (Dendi et Artstyle chez Na`Vi, vainqueurs en 2011 avec la même équipe).
Signalons qu'il n'y a aucune constante dans les équipes qui se sont fait remarquer sur les derniers mois : certaines ont recruté principalement des anciens (NewBee, Alliance, EG), d'autres ont misé sur un alliance entre nouveaux talents et joueurs d'expérience (OG, Secret avant mars 2015, Liquid, Na`Vi, VG.R), certaines enfin sont avant tout composées de « nouveaux » venus dans le top mondial (MVP, Wings).
Un renouvellement générationnel accéléré depuis 2015
Le renouvellement des joueurs n'est pas chose nouvelle : ce mouvement a toujours existé d'une année sur l'autre. Cependant la dynamique s'est accélérée depuis 2015 avec la multiplication des tournois Majors+, et plus encore depuis le début du système des Majors à proprement parler.
Lecture : 19 joueurs de TI4 n'avaient pas disputé un Major+ précédent, représentant 23,75 % du total des joueurs du tournoi.
Lorsque le seul temps fort de l'année était un International, le renouvellement n'était pas pour autant nul : le taux de renouvellement fluctue et apparaît plus élevé à TI3 et TI4 qu'aux Majors de 2016. Le nombre d'entrants au DAC et au Major de Francfort est certes important, mais proche finalement de ce qu'il était à TI3 (pour le DAC, il découle aussi de la surreprésentation des équipes chinoises, qui injecte des joueurs d'équipes "secondaires" dans le circuit). Avant la saison 2014-2015, le renouvellement existe, mais il est moins rapide.
La rupture découle en effet du plus grand nombre de tournois Majors+. Ainsi, en 2013-2014 (TI4), seuls 19 joueurs sont entrés dans le circuit ; en 2014-2015 (DAC + TI5), 52 ; et pour la saison actuelle, en ne prenant en compte que les trois Majors (les participants de TI6 ne sont pas encore connus, évidemment), on compte déjà 56 joueurs entrés dans le groupe des joueurs des tournois Majors+.
Ces tournois ne sont donc plus dominés par une petite élite de joueurs présents depuis l'époque de DotA ou peu s'en faut. L'intégration de plus en plus large de talents plus nouvellement éclos est évidemment à mettre au crédit de la place de plus en plus importante laissée aux qualifications par rapport aux invitations : les qualifications permettent à des équipes prometteuses de s'imposer face à des joueurs qui ont leur carrière derrière eux. On le voit encore à Manille : deux des quatre équipes qualifiées - NewBee, DC, Mineski et Empire - ont un taux de présence inférieur à 10 % aux Majors+ (cf. graphique 1).
Notons que la réduction du nombre de qualifications pour Manille par rapport aux Majors précédents n'a pas eu d'impact notable sur le taux de renouvellement du réservoir de joueurs. Cependant, si Valve persiste dans cette voie, le turn over pourrait à terme ralentir, notamment pour TI6 (où déjà, en raison de l'impossibilité de changer la composition des équipes, le mouvement devrait être moins important).
Un équilibre géographique en mutation
Terminons par quelques considérations sur les équilibres régionaux, qui connaissent une réelle évolution depuis deux ans. Certains thèmes développés ici ont été esquissés dans des articles antérieurs, par exemple dans la série d'articles rétrospectifs sur l'e-sport Dota 2, ou dans divers bilans.
Point méthodologie :
Valve distingue depuis TI4 quatre régions : l'Asie du Sud-Est (intégrant la Corée), l'Amérique, la Chine et l'Europe (occidentale et orientale confondues). Cette terminologie a été reprise depuis par la plupart des organisateurs. Les équipes sont classées dans les régions non en fonction de l'origine des joueurs qui la composent, mais selon la région dans laquelle elle joue ses matchs.
Nous conservons ici la même approche, en scindant cependant l'Europe entre Occident et zone CIS (équipes de l'ex-URSS). De ce fait, des équipes comme coL ou DC sont considérées comme des équipes américaines (même si leurs joueurs sont majoritairement européens), Secret comme une équipe européenne (alors que les Nord-Américains y sont désormais majoritaires), LGD.int comme une équipe chinoise, etc. Le principal point de discussion concerne les équipes américaines et ouest-européennes, de plus en plus mélangées depuis la saison 2014-2015.
Quelques tendances se dessinent actuellement ; la plus visible est la réduction de la place occupée par les équipes chinoises, qui retombent à leur minimum historique de 2011 (certaines écuries n'avaient pas participé à TI1, craignant une arnaque au vu du montant annoncé pour les prix, exceptionnel pour l'époque). Cette baisse (faut-il parler de normalisation ?) de ce nombre s'explique largement par les mauvais résultats enregistrés par les équipes chinoises en automne et en hiver de cette saison.
La réduction de l'importance prise par la Chine aboutit de fait à une convergence des courbes : le Major de Manille est le tournoi Major+ où l'homogénéité entre les différentes régions est la plus forte, avec un écart-type inférieur à 1. De The International 2013 au Major de Francfort, la dispersion atteignait au contraire des seuils bien plus élevés (sans prendre en compte le DAC, qui est un cas particulier puisque ce n'est pas Valve mais Perfect World qui était à la manoeuvre).
Rappelons que si Valve avait conservé pour Manille la même logique d'invitations/qualifications que pour Francfort et Shanghai, la répartition aurait été sensiblement différente : 4 équipes pour les zones Amérique, Chine et SEA, de 2 à 4 pour l'Europe de l'Ouest, de 0 à 2 pour l'Europe de l'Est (cf. le tableau de cet article).
Les courbes reflètent les résultats sur la saison 2015-2016 : la Chine et l'Europe de l'Est sont à des niveaux plutôt bas, l'Amérique et l'Europe de l'Ouest à des niveaux plutôt élevés, comparativement aux saisons précédentes. Pour ces deux dernières régions, elles maintiennent un nombre élevé d'équipes présentes sur plusieurs Majors consécutifs.
Le souci que Valve manifeste de maintenir une représentation relativement équilibrée, ou en tous cas minimale, des différentes régions transparaît également. Il s'agit certainement de s'assurer que le public, notamment dans les zones où Dota 2 particulièrement bien implanté (ex-URSS, Asie du Sud-Est, Chine), pourra encourager des équipes sinon locales, du moins régionales. De là découle parfois la présence dans un Major+ d'une ou deux équipes dont le niveau est clairement en-dessous des autres participants, telles MUFC à TI3 ou Archon à Shanghai.
Lecture : les joueurs du Major de Manille des équipes américaines ont un taux de présence dans les Internationaux 2011 à 2014 de 21,7 %, et dans l'ensemble des Majors+ de 35 %.
Le taux de présence mesuré est calculé en cumulant le nombre de participations à des tournois Majors+ de la période atteint par les joueurs des équipes, puis en le divisant par le maximum de participations possibles (nombre de tournois x nombre d'équipes de la région x 5).
Le graphique ci-dessus permet d'observer le degré d'ancienneté des "top teams" actuelles, selon les régions (il est à relier avec le deuxième graphique et avec le tableau).
SEA, la zone qui monte
Les équipes de la zone SEA comportent le moins de vétérans : peu de joueurs SEA présents à Manille ont disputé des Internationaux avant 2015. En revanche, ces mêmes joueurs ont, depuis 2015, participé à beaucoup plus de Majors+, ce qui reflète la montée en gamme de certaines équipes de la zone couplée à une certaine stabilité autour d'un noyau de joueurs (on songe notamment ici à MVP Phoenix, ou à Fnatic issue d'Orange/Titan/Team Malaysia).
CIS, la région la plus mouvante
De toutes les zones, l'Europe de l'Est est celle dont les joueurs ont le moins d'expérience dans les Majors+. Cela dérive de la traditionnelle instabilité de la scène où les équipes se font et se défont rapidement. De plus, contrairement aux années antérieures où une ou deux équipes parvenaient à rester au sommet de la zone (Na`Vi pendant longtemps, Empire secondairement), il n'y a plus de clairs leaders dans la durée : la domination réelle de VP (ex-NVMI, ex VP-Polar) a duré moins d'une saison, Vega ne s'est pas imposée durablement, pas plus que la Team Spirit, etc. L'environnement actuel de la zone CIS est extrêmement concurrentiel et très ouvert, ce qui laisse leur chance à davantage de nouveaux venus.
Expérience et modernité en Europe de l'Ouest
A l'opposé, l'Europe de l'Ouest est marquée par une permanence lourde des vétérans. De manière peut-être contre-intuitive, il faut remarquer qu'elle est la région où les vétérans de la scène sont, à l'heure actuelle, les mieux ancrés : les joueurs ouest-européens du Major de Manille étaient largement actifs dans les Majors+ avant 2015 - et ce dans toutes les équipes concernées. Cependant une place a été faite à de nouveaux talents, sauf chez Alliance qui a retrouvé sa composition de 2013. Dans tous les cas, les joueurs d'Europe de l'Ouest du Major sont ceux qui ont la plus grande expérience des Majors+.
La Chine en plein renouvellement
La Chine apparaît clairement en-deçà de ce à quoi l'on s'attendrait a priori : la scène chinoise semble souvent très figée, marquée par le poids fort des joueurs expérimentés. Cette représentation repose évidemment sur une réalité, puisque pendant longtemps les grosses équipes (LGD, DK, iG, NewBee, VG) ont privilégié l'expérience voire la réputation lors de leurs recrutements, accordant une place limitée sinon nulle à des joueurs émergents. La situation a cependant changé depuis 2015 et une nouvelle génération monte en Chine, d'où une ancienneté plutôt limitée pour ceux qui seront à Manille.
La scène américaine sort-elle du "NA trash" ?
Enfin, pour la région Amériques, il faut relever un sensible enracinement des joueurs : depuis 2015, le taux de présence progresse, ce qui reflète l'élévation du niveau des compétiteurs issus de la zone face à ceux des autres régions. Cependant, il convient de se méfier de l'illusion d'optique et se rappeler que, sur les trois équipes américaines à Manille, deux sont majoritairement constituées de joueurs européens récemment expatriés. Si le taux de présence général progresse, il est, plus largement que pour les autres zones, boosté par l'apport de joueurs extérieurs, ce qui illustre la difficulté de la scène à faire émerger des équipes au-delà de EG.
Le mot de la fin...
Le système des Majors, instauré par Valve depuis l'automne 2015 après un premier test à l'hiver 2015, visait avant tout à professionnaliser la scène et à réguler un paysage compétitif quelque peu anarchique en rythmant davantage les saisons entre deux Internationaux. La professionnalisation est manifestement un processus qui prendra encore du temps, les derniers mois l'ont bien montré : tant Valve que les organisations ou les joueurs ont des progrès à faire.
En fait, pour le moment, les Majors semblent avant tout favoriser l'émergence de nouveaux talents, de nouvelles équipes, et accélérer le surgissement dans l'espace compétitif de joueurs dotés de peu d'expérience mais de beaucoup de moyens. Cette concurrence accrue d'une génération montante oblige les vétérans à se secouer pour rester au niveau ou les condamne à disparaître des compétitions qui comptent. Que voilà une évolution réjouissante !
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